Proposition : cette photo, sans aucune autre consigne ...
Micro-trottoir
Ce matin, mon Rédacteur en chef a décidé qu'on allait faire un micro-trottoir, il y a longtemps qu'on n'en a pas fait, en plus les téléspectateurs adorent ça : ils voient à l'écran des gens comme eux, à qui on demande leur avis, et qu'on écoute ! Ça les valorise, ils sont contents, et nous, on fait de l'audience à peu de frais !
Là-dessus, il m'a regardé, le Rédac-Chef, et il m'a lancé, finement (en tout cas, c'est l'idée qu'il s'en fait) : « Tiens, tu vas t'y coller, toi qui aimes te balader... ! »
Chacun à un coin de la pièce, mes petits camarades ont rigolé, un peu servilement selon moi, et je suis parti.
Et me voilà dans la rue, prêt à tendre mon micro à qui veut bien me répondre, pour me raconter son vécu et surtout son ressenti, par rapport à « tout ça ». Seulement, personne ne veut me parler, m'expliquer comment il vit la situation. Tous, comme un seul homme ou une seule femme, ils se cabrent, ils s'éloignent en se drapant dans leur écharpe, par-dessus leur masque...
Il y en a même un qui m'a aspergé d'un truc - J'espère que c'est de la solution hydro-alcoolique ! - sous prétexte que j'insistais. Maintenant, j'ai compris, je n'insiste plus !
Puisque c'est comme ça, je vais parler aux oiseaux, leur demander ce qu'ils en pensent, eux, puisqu'ils sont revenus, comme si ça les amusait de nous voir dans la panade... Ou aux nuages, tant que j'y suis, je ne suis plus à ça près ! Tiens, celui-là, juste au-dessus... En espérant qu'il n'arrive pas de Tchernobyl (avec un méchant retard, quand même!), s'il pouvait nous larguer une bonne pluie, avec du désinfectant dedans, pour nettoyer tout le paysage - Le gouvernement, il pourrait peut-être nous goupiller un truc comme ça, quand même, non ?
Alain
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ARTE 28 MARS 2020
Quelques personnes arrivent et se massent derrière le journaliste qui ne dit mot.
Les gens :
- Chut, taisez-vous
- Que se passe-t-il ?
- On attend
- On attend quoi ?
- … Sais pas, chut...,
- Non on sais pas, mais ça a l’air sérieux
- … Comment ça sérieux ?
Bruits de voix, de chuchotements, rires, d’autres individus approchent et posent des questions, personne ne sait, seul le journaliste micro tendu reste calme.
- Qu’est-ce qu’ils disent devant ?
- J’ai entendu sérieux
- Quoi sérieux, il va enregistrer une tornade ou le chant des moustiques ?
RIRES
- Ils ne savent plus quoi inventer, on s’en va.
Mouvement du public
- Non, reste, un autre journaliste arrive
Un homme, bandeau autour du bras «presse», harnaché pour un reportage de guerre traverse la foule.
- Que se passe-t-il, dites-nous ?
- C’est grave ? Vous attendez quelqu’un pour un interview ?
- Oui, répond-t-il, en continuant à se frayer un chemin
- Qui ? Oui dites-nous qui c’est ?
- Il vient en montgolfière?
- Y’a pas d’vent...Votre copain va avoir une crampe !
RIRES
Le journaliste s’arrête, regarde autour de lui l’assemblée mi-souriante, mi-inquiète ; il savoure le moment :
- ….. DIEU…. Nous avons une audience avec DIEU
Silence. Visages tendus, incrédules, yeux exorbités, et bouche en demi-sourire, on dirait que chacun à sa manière reçoit un uppercut !
Les commentaires reprennent, doucement comme dans un confessionnal, puis de plus en plus fort :
- Merveilleux ! Incroyable ! on se fout de nous ! Blasphème ! Alléluia !… et le bitume va s’ouvrir aussi ? Il va marcher dans les airs ?
Le preneur de sons sourit de sa bonne blague et des réactions qu’elle suscite.
Trois voitures de police arrivent, la foule s’éparpille comme une envolée de moineaux, le journaliste fait signe de la main aux forces de l’ordre de se taire et de s’éloigner en montrant leur carte de presse, incroyable ça marche.
Plus un bruit, ARTE RADIO enregistre le silence ; un podcast utile pour la fin du confinement.
Patricia
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L'INTERVIEW
Ça se passait en 1980. Tout une époque. Enfin, une autre époque.
Après quelques années à faire des petits boulots au zoo, un peu de music-hall, voilà que ma chance arrivait. Enfin, aurais-je pu dire !
Mon rêve, ce pour quoi je m'estimais fait depuis longtemps, se réalisait. J'étais entré à la radio et pas n'importe laquelle, une radio nationale. Et pas pour des émissions passe-partout et grand public, non, j'allais m'occuper de culture. De littérature plus exactement. J'appréhendais quand même un peu, vu la brièveté de ma formation.
Je dois dire que je devais cette occasion inespérée à mon oncle, un type qui était quelque chose dans la radio en question. C'était un ponte, en fait et un changement politique opportun l'avait mené très haut. Il n'y avait pas de raison pour que je n'en profite pas !
Mon oncle Louis, donc, était venu chez nous, un dimanche. On était à festoyer dans le jardin, ma mère apportait sa fameuse tarte aux fraises, comme chaque dimanche et mon père m'a jeté un regard entendu. J'avais fait signe que non de la tête. Pour être honnête, ça me gênait qu'on me pistonne. Mon père, qui avait lu l'annonce de la nomination de son frère la veille, m'a encouragé. J'ai fini par balbutier ma demande et l'oncle Louis, qui n'en avait sans doute pas grand chose à faire a dit : Ben oui ... pourquoi pas ?
Je faisais donc mes débuts. Je devais interviewer un célèbre écrivain, un peu en bout de course, mais qui avait eu son heure de gloire et qui ... oui, qui comptait encore. Cinquième arrondissement, un hôtel particulier. Pas trop intimidé, je sonne. Pas de réponse. J'en profite pour vérifier sur mon Nagra, que mon micro était bien branché. Les batteries, ça allait, j'en avais même deux de rechange. Au bout d'un moment, je me résous à pousser la porte, entrouverte, je viens de le remarquer. Dans le grand hall au tapis bigarré, j'ai la surprise de découvrir un éléphant en bronze, une magnifique bête de deux mètres de haut.
Je récapitule ce que je sais du personnage : la perte de sa femme et son passé de héros de l'aviation. Ses romans qui vont du drôle au plus désespéré... ses deux prix Goncourt. J'ai lu et relu les résumés, parcouru aussi quelques bio(s) et je crois être au point pour mes questions. Je lance un timide : Oh ohooh ! qui résonne lugubrement dans tout cet espace. Je monte un escalier en marbre et j'arrive sur un palier. J'appelle à nouveau. Toujours le silence. Je ne m'attarde pas sur les tableaux de maîtres et les statues, je me concentre plutôt sur les portes. Deux sont fermées mais la troisième est entrebâillée. Je prends sur moi de la pousser et là, catastrophe : le grand homme gît, affaissé sur son bureau. Il a la moitié de la tête emportée et son bras droit pend le long de la table. Il y a un revolver sur le tapis. Conclusion : l'interview tombe à l'eau ... puisque mon écrivain est mort !
Je reste là un moment, à ruminer : quoi faire ?
Je ne travaille pas pour une station périphérique mais pour un poste national. Et culturel. Renoncer à faire mon boulot, et me contenter d'être témoin dans un simple fait-divers ? Pas question. Heureusement, je me souviens, très à propos, de mon passé au music-hall où je prenais toutes sortes de voix, des voix avec accent, des voix de fumeurs ...
Moralité : l'émission a bien été diffusée. Je m'y interview moi-même imitant le vieil auteur et, si vous vous en souvenez, elle a fait du bruit.
On ne s'est pas privé de souligner que c'était là (et pour cause !) le dernier entretien accordé, de son vivant ... par Romain Gary.
Gérard
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