Temps d'écriture : 12 minutes
C'est drôle, la première fois qu'il était sorti avec Natacha, il avait renversé un verre. Son verre à elle, en plus. Ils étaient dans un petit café de Nantes et Rémi avait le trac : il estimait n'avoir aucune chance avec sa collègue de bureau, si brillante, si classe...
Il s'excusa abondamment et sortit un vague paquet de mouchoirs pour éponger les dégâts.
Plus tard, en vacances dans le Vaucluse, il dort sur une chaise-longue. Et, pour rire, un copain lui renverse un verre d'eau sur la tête. Il s'ébroue en criant.
Rémi s'est marié : pas avec Natacha mais avec sa sœur Sabine, qui est gendarme. Ils se sont installés dans un petit pavillon pas très loin de la ville. Sabine est une femme énergique : les engueulades se multiplient. Un soir, le trouvant installé devant son éternelle bière, elle ironisa. Il répondit mollement. Elle le traita de poivrot et envoya balader son verre qui se renversa. Tout éclaboussé, Rémi la fixait, les yeux ronds. Leur fils de cinq ans, assis à table, se mit à hurler. Ce fut le commencement de la fin.
Rémi est dans une maison médicalisé. Du temps a passé et il a atteint un âge où l'on n'a plus d'âge. Il se sent lourd, sans appétit en général et son regard se perd dans le blanc des murs. Oublié le Rémi actif, le Rémi père, le Rémi joueur de pétanque et amateur de pastis. Il est à l'eau, comme son voisin de lit. Ce voisin n'a pas de prénom, on l'appelle juste M. Lepron. Il ne bouge pas beaucoup...et cette immobilité inquiète Rémi qui a prévenu une ou deux fois les infirmières, mais là, elles ne viennent plus.
Ce matin, Rémi lisait : il a entendu un râle soudain et son voisin est mort, sur un dernier spasme. Le choc a ébranlé la table de chevet et le verre d'eau posé dessus. L'eau a coulé par terre puis goutté encore un peu sur le lino. Rémi a posé son livre.
Ce matin, Rémi lisait : il a entendu un râle soudain et son voisin est mort, sur un dernier spasme. Le choc a ébranlé la table de chevet et le verre d'eau posé dessus. L'eau a coulé par terre puis goutté encore un peu sur le lino. Rémi a posé son livre.
Sa main s'est dirigée vers la sonnette.
Fantasio
______________________________________________________
Il poussa la porte du bistrot, et entra dans le café enfumé (c'était avant la Loi Evin, autant dire au siècle dernier). Les copains étaient là, l’œil interrogateur : Alors, tu l'as ? - Oui, il l'avait. Il refusa de boire une coupe, puisqu'il rentrait au volant de sa voiture toute neuve. Les autres firent la gueule.
Ça lui rappela cette autre porte, poussée après convocation par le proviseur. L'offense était grave, autrement c'était juste le « surgé » - On se faisait engueuler pareil, mais là on risquait l'exclusion.
Il poussa la porte vitrée du bureau du Directeur des Ressources humaines, qui lui expliqua que, même s'il était plutôt humain lui-même de nature, il n'était pas question d'augmenter ses ressources. Vu la conjoncture.
Enfin, il poussa la même porte quelques jours après. Pour annoncer son départ de cette boîte pourrie, puisqu'entretemps il avait trouvé un autre poste, plus près de chez lui, en plus.
En sortant de l'immeuble, il passa devant le café-tabac des Amis. Il en poussa la porte : une démission, ça se fête. En plus, il avait vidé son sac, balancé ses quatre vérités au DRH. Tiens, il allait prendre un double scotch !
Il poussa... un soupir d'aise.
Alain