Journal de bord de Jean, poilu à Verdun le 14 mai 1916
Temps d'écriture : 20 minutes
Putain ! On n’est que le 14 mai, ça fait déjà deux mois que je suis en villégiature ici, dans ce joli coin de France. Ça tombe bien, je n’était jamais venu dans la Meuse, tout le monde me disait tu verras, c’est bucolique - et puis, c’est la terre de France, tu sais : celle qui ne ment pas ! Tu parles… Elle ne ment peut-être pas, mais contrairement à ce que prétendait l’autre, on est obligé de l’emporter à la semelle de ses souliers… Enfin, on l’emporterait, sous forme de boue, si on s’en allait comme on en a envie. Le truc, c’est qu’on ne peut pas s’en aller. On est obligé de rester là, sans mettre le nez dehors, sauf à l’occasion, quand Messieurs les Officiers ont envie qu’on joue au tir aux pigeons - Vous devinez qui sont les pigeons !
Le reste du temps, on joue aux cartes, on élimine les poux en les noyant dans du jus de tabac et on fume comme des sapeurs (même si on est dans une autre arme !). Est-ce qu’on aura seulement le temps d’attraper un cancer du poumon, on n’en est même pas sûr !
Ah ! Tiens, il faut que j’écrive à la maison. Sur la carte postale obligeamment fournie par l’Armée française !
Voyons… Euh… « Ma chère femme, merci pour le chandail, avec ça je suis beau comme un prince, et je vais avoir bien chaud cet hiver, si je ne suis pas rentré avant. En tout cas, tiens bon : on les aura ! Je t’embrasse.
Ton Jean
(25ème RIMPVF, Secteur Verdun-Est)
Alain
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En ce jeudi 14 mai 1916,
La pluie a enfin cessé de tomber, nos vêtements sont enfin secs depuis une semaine, nous ne sentons plus le chien mouillé. Si je pouvais me regarder dans un miroir, je suis sûr que je me trouverai beau.
Le général nous a autorisés à nous raser, nous avons perdu beaucoup d’hommes dans la bataille du 1er mai. Une erreur de stratégie ? Il culpabilise le général ? Je ne sais pas. J’ai des doutes. J’ai peur.
J’ai perdu Ferdinand, mon copain d’enfance, au mauvais endroit, au mauvais moment.
On attend tous la fin de cette guerre, et de retrouver nos belles qui nous attendent.
Cette nuit j’ai rêvé de Mathilde, de ses longues boucles blondes, de ses yeux noisette, de son doux sourire. Nous nous retrouvions le jour de la libération, c’était incroyable, merveilleux. Elle si belle, si émouvante, moi si amaigri, mon habit plein de boue, tout juste sorti des tranchées.
C’est grâce à Mathilde que je tiens et que je pourrai tenir encore longtemps, toute la vie sans doute. Une promesse, nous nous sommes fait une promesse sous le marronnier de la place du village. Mathilde je la connais depuis nos 6 ans et j’ai été immédiatement amoureux d’elle.
Mes mots me dépassent, l’émotion est très forte, trop forte, je ne veux plus penser, je ne veux plus penser à elle.
Le général a apporté de la bière, je ne veux pas savoir comment il l’a eu, la bière c’est si rare en temps de guerre.
J’allume une cigarette, mes yeux se perdent dans la fumée épaisse de ces gauloises au tabac brun tellement fort, je toussote, je tousse. Décidément, je n’aime pas fumer, mais ça me calme, ça me détend.
La guerre va s’arrêter, il le faut, il faut arrêter ce massacre, tant d’hommes morts pour la patrie, tant de familles endeuillées, meurtries.
La voix d’Albert me sort de ma rêverie.
Cher ami, je te quitte pour aujourd’hui, je referme la page du 14 mai 1916 et ne peux te dire quand je te retrouverai, mais je te retrouverai, je te le promets. Et surtout, n’oublie pas de dire à Mathilde que je l’aime.
Véronique
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En ce jeudi 14 mai 1916... je m'ennuie. Le temps ne passe plus. Au-dessus de nos têtes, le ciel se couvre, se dégage, une nuit succède à une autre. On m'a placé à l'angle de deux tranchées, en sentinelle, dit le capitaine Poirson. Un malade, celui-là. Il ne rêve que de nous voir monter à l'assaut, au casse-pipe, comme il dit. C'est un petit nerveux à la moustache en brosse dont les initiatives sont perpétuellement recadrées par l'Etat-Major. Alors, faute de mieux, il fait des pompes, le soir, ou bien il frappe à coups redoublés sur sa gamelle pour que la soupe arrive plus vite.
Je crois que cette guerre nous a tous rendus plus ou moins fous.
J'ai deux copains : Arthur, qui partage la même détestation que moi pour le capitaine Poirson et Fernand, un simplet. Enfin, pas si simplet que ça, puisqu'il a tout fait pour ne pas porter l'uniforme, amputation du doigt comprise...mais ça n'a pas marché. Arthur était instituteur dans le civil, il aide Fernand à écrire des lettres à sa famille. Moi, je ne reçois pas de lettre et je n'écris à personne. Dans un de ses bons jours, Poirson a proposé de me trouver une marraine de guerre mais j'ai refusé.
Samedi 15 mai 1916
Un pâle soleil illumine l'horizon. A midi, on a des haricots en boite mais en plus petite portion. Je pense à mon village que je ne reverrai peut-être plus. C'est Quarré-les-Tombes, un bled dans l'Yonne. J'espère que ce n'est pas prémonitoire. Je n'ai pas connu mon père et m'a mère m'a élevé seule comme elle a pu. Et puis elle est morte. J'ai donc été pupille de la nation.
La nation, le pays, la patrie, tout ça me passe au-dessus de la tête.
Comme la plupart, je suis là parce qu'il faut.
Dimanche 16 mai 1916
J'ai commencé à voir des rats, des vrais, qui courent par la tranchée.
Samedi 22 mai 1916
Les rations ont diminué de façon inquiétante. J'ai faim.
Nous avons tous faim. Heureusement, on ne nous plaint pas le pinard. Certains errent dans la tranchée avec des lueurs bizarres dans l'oeil. Je recommence à voir des rats. Et des serpents aussi, des scolopendres. Hier, j'ai eu une crise : je frappais les parois de la tranchée en hurlant. Fernand et Arthur ont eu du mal à ma maîtriser.
Comment tout cela va-t-il finir ?
Fantasio
En ce jeudi 14 mai 1916, je me réveille dans cette même tranchée dans laquelle je suis affecté avec mes camarades depuis maintenant 15 mois. Ce matin-là a un petit air printanier, malgré l'odeur de mort qui règne depuis 5 jours aux alentours suite aux derniers obus éclatés de part et d'autres du Front et qui ont semé la mort ...Nous n'avons pas pu ramasser nos camarades morts pour cette France qui nous méprise, car le temps est trop dégagé pour se permettre de sortir de notre boyau protecteur des bombardements ennemis. On attend donc que le temps se couvre pour aller chercher les cadavres, parfois méconnaissables.
En attendant, on tue le temps avec mes comparses. Marcel a reçu de sa famille un jeu de tarot. On y joue dès que l'on peut. On a ainsi l’impression de se retrouver dans nos vies d'avant, entourés de nos familles et de nos amis, comme un samedi soir après une dure semaine de labeur aux champs ou à l'usine! Une belle soirée méritée et appréciée à sa juste valeur. Même si le vin qui circule est de bien piètre qualité, il a l'avantage de vite brouiller les esprits.S'il n'y avait pas cette terrible odeur macabre qui s'accrochait même à notre peau, on pourrait se croire un de ces fameux samedi soir, tant la partie de cartes est joyeuse et endiablée!
Il faut dire que les officiers sont généreux en mauvais vin et en tabac brun...alors on se retrouve parfois dans des états pitoyables dès le matin.
Emile, l'instituteur, poilu lui aussi de son état, est logé à la même enseigne car il a refusé le statut de sous-officier qu'on lui offrait.Il avait vite compris que seuls les gars du peuple allaient au Front et faisaient ainsi une merveilleuse chair à canon pour cette France qui humiliait ses humbles citoyens. Il était horrifié par ce cynisme d'Etat et refusait ainsi de contribuer à ce massacre des classes populaires. Il faut dire qu'en tant que fils de communard, il savait d'où il venait et ne reniait pas ses origines ouvrières. Tout comme son père assassiné en 1871 lors des terribles échauffourées de la commune de Belleville, il voulait lui aussi mourir en héros, au Front!...
Ziza
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En ce jeudi 14 mai 1916, je me réveille dans cette même tranchée dans laquelle je suis affecté avec mes camarades depuis maintenant 15 mois. Ce matin-là a un petit air printanier, malgré l'odeur de mort qui règne depuis 5 jours aux alentours suite aux derniers obus éclatés de part et d'autres du Front et qui ont semé la mort ...Nous n'avons pas pu ramasser nos camarades morts pour cette France qui nous méprise, car le temps est trop dégagé pour se permettre de sortir de notre boyau protecteur des bombardements ennemis. On attend donc que le temps se couvre pour aller chercher les cadavres, parfois méconnaissables.
En attendant, on tue le temps avec mes comparses. Marcel a reçu de sa famille un jeu de tarot. On y joue dès que l'on peut. On a ainsi l’impression de se retrouver dans nos vies d'avant, entourés de nos familles et de nos amis, comme un samedi soir après une dure semaine de labeur aux champs ou à l'usine! Une belle soirée méritée et appréciée à sa juste valeur. Même si le vin qui circule est de bien piètre qualité, il a l'avantage de vite brouiller les esprits.S'il n'y avait pas cette terrible odeur macabre qui s'accrochait même à notre peau, on pourrait se croire un de ces fameux samedi soir, tant la partie de cartes est joyeuse et endiablée!
Il faut dire que les officiers sont généreux en mauvais vin et en tabac brun...alors on se retrouve parfois dans des états pitoyables dès le matin.
Emile, l'instituteur, poilu lui aussi de son état, est logé à la même enseigne car il a refusé le statut de sous-officier qu'on lui offrait.Il avait vite compris que seuls les gars du peuple allaient au Front et faisaient ainsi une merveilleuse chair à canon pour cette France qui humiliait ses humbles citoyens. Il était horrifié par ce cynisme d'Etat et refusait ainsi de contribuer à ce massacre des classes populaires. Il faut dire qu'en tant que fils de communard, il savait d'où il venait et ne reniait pas ses origines ouvrières. Tout comme son père assassiné en 1871 lors des terribles échauffourées de la commune de Belleville, il voulait lui aussi mourir en héros, au Front!...
Ziza
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Ma chérie, Besoin d’évoquer ton souvenir, l’image de ton adorable visage pour conserver le souvenir du beau et du bon. Ici c’est un monde d’hommes, si l’on peut appeler hommes les barbus puants que nous sommes devenus.
Le temps est moins froid mais nos tenues lourdes de la boue des tranchées et de notre sueur est uniformément représenté dans ce boyau devenu notre demeure.
Ma chérie t’ai-je rêvée ? C’était le monde d’avant, celui auquel je me raccroche pour tenir ici.
Combien de temps encore cette non vie ? Heureusement, il y a les copains, l’amitié nécessaire pour conserver des valeurs de dignité, ne pas devenir fou.
Ne parlons pas de la peur, de la boucherie, de la faim et du bruit. Les générations futures que sauront-elles de cet enfer qui le notre ?
Y aura-t-il la paix un jour ? Plus jamais ça. Ces gosses, ces hommes jeunes servant de chair à canon. Les puissants déclarent la guerre, ils ne la font pas. Je risque être abattu pour cette pensée.
Mon amour, il faut que je t’évoque pour résister. Repenser au bonheur pour contrecarrer, l’abattement, occulter l’insoutenable et me dire qu’il y aura un après de retrouvailles et de bonheur simple. Retrouver un lit, de l’eau coulant sur ma peau, un repas correct cuisiné mais surtout toi, toi qui est ma seule raison de vivre et soutien dans ce quotidien sans entendement.
Mon bonheur c’est quand je ferme les yeux et m’endors un peu en pensant à toi. Systématiquement. Vivement la relève. Si seulement cette fichue guerre pouvait finir vite. Ici nous ne pouvons qu’exécuter les ordres et ne savons rien de ce qui se passe réellement ailleurs. Censure et discipline.
Ma chérie, je ne pourrai même pas t’envoyer ces lignes : je ne veux pas t’alarmer.
Verdun ce 14 mai 1916
Fabienne