dimanche 14 octobre 2018

Journal de bord de Jean, poilu à Verdun le 14 mai 1916


Journal de bord de Jean, poilu à Verdun le 14 mai  1916
Temps d'écriture : 20 minutes

Putain ! On n’est que le 14 mai, ça fait déjà deux mois que je suis en villégiature ici, dans ce joli coin de France. Ça tombe bien, je n’était jamais venu dans la Meuse, tout le monde me disait tu verras, c’est bucolique - et puis, c’est la terre de France, tu sais : celle qui ne ment pas ! Tu parles… Elle ne ment peut-être pas, mais contrairement à ce que prétendait l’autre, on est obligé de l’emporter à la semelle de ses souliers… Enfin, on l’emporterait, sous forme de boue, si on s’en allait comme on en a envie. Le truc, c’est qu’on ne peut pas s’en aller. On est obligé de rester là, sans mettre le nez dehors, sauf à l’occasion, quand Messieurs les Officiers ont envie qu’on joue au tir aux pigeons - Vous devinez qui sont les pigeons !
Le reste du temps, on joue aux cartes, on élimine les poux en les noyant dans du jus de tabac et on fume comme des sapeurs (même si on est dans une autre arme !). Est-ce qu’on aura seulement le temps d’attraper un cancer  du poumon, on n’en est même pas sûr !
Ah ! Tiens, il faut que j’écrive à la maison. Sur la carte postale obligeamment fournie par l’Armée française !
Voyons… Euh… « Ma chère femme, merci pour le chandail, avec ça je suis beau comme un prince, et je vais avoir bien chaud cet hiver, si je ne suis pas rentré avant. En tout cas, tiens bon : on les aura ! Je t’embrasse.
Ton Jean
(25ème RIMPVF, Secteur Verdun-Est)

Alain
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En ce jeudi 14 mai 1916,
La pluie a enfin cessé de tomber, nos vêtements sont enfin secs depuis une semaine, nous ne sentons plus le chien mouillé. Si je pouvais me regarder dans un miroir, je suis sûr que je me trouverai beau.
Le général nous a autorisés à nous raser, nous avons perdu beaucoup d’hommes dans la bataille du 1er mai. Une erreur de stratégie ? Il culpabilise le général ? Je ne sais pas. J’ai des doutes. J’ai peur.
J’ai perdu Ferdinand, mon copain d’enfance, au mauvais endroit, au mauvais moment.
On attend tous la fin de cette guerre, et de retrouver nos belles qui nous attendent.
Cette nuit j’ai rêvé de Mathilde, de ses longues boucles blondes, de ses yeux noisette, de son doux sourire. Nous nous retrouvions le jour de la libération, c’était incroyable, merveilleux. Elle si belle, si émouvante, moi si amaigri, mon habit plein de boue, tout juste sorti des tranchées.
C’est grâce à Mathilde que je tiens et que je pourrai tenir encore longtemps, toute la vie sans doute. Une promesse, nous nous sommes fait une promesse sous le marronnier de la place du village. Mathilde je la connais depuis nos 6 ans et j’ai été immédiatement amoureux d’elle.
Mes mots me dépassent, l’émotion est très forte, trop forte, je ne veux plus penser, je ne veux plus penser à elle.
Le général a apporté de la bière, je ne veux pas savoir comment il l’a eu, la bière c’est si rare en temps de guerre. 
J’allume une cigarette, mes yeux se perdent dans la fumée épaisse de ces gauloises au tabac brun tellement fort, je toussote, je tousse. Décidément,  je n’aime pas fumer, mais ça me calme, ça me détend.
La guerre va s’arrêter, il le faut, il faut arrêter ce massacre, tant d’hommes morts pour la patrie, tant de familles endeuillées, meurtries.

La voix d’Albert me sort de ma rêverie. 

Cher ami, je te quitte pour aujourd’hui, je referme la page du 14 mai 1916 et ne peux te dire quand je te retrouverai, mais je te retrouverai, je te le promets. Et surtout, n’oublie pas de dire à Mathilde que je l’aime.

Véronique

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En ce jeudi 14 mai 1916... je m'ennuie. Le temps ne passe plus. Au-dessus de nos têtes, le ciel se couvre, se dégage, une nuit succède à une autre. On m'a placé à l'angle de deux tranchées, en sentinelle, dit le capitaine Poirson. Un malade, celui-là. Il ne rêve que de nous voir monter à l'assaut, au casse-pipe, comme il dit. C'est un petit nerveux à la moustache en brosse dont les initiatives sont perpétuellement recadrées par l'Etat-Major. Alors, faute de mieux, il fait des pompes, le soir, ou bien il frappe à coups redoublés sur sa gamelle pour que la soupe arrive plus vite.


Je crois que cette guerre nous a tous rendus plus ou moins fous.

J'ai deux copains : Arthur, qui partage la même détestation que moi pour le capitaine Poirson et Fernand, un simplet. Enfin, pas si simplet que ça, puisqu'il a tout fait pour ne pas porter l'uniforme, amputation du doigt comprise...mais ça n'a pas marché. Arthur était instituteur dans le civil, il aide Fernand à écrire des lettres à sa famille. Moi, je ne reçois pas de lettre et je n'écris à personne. Dans un de ses bons jours, Poirson a proposé de me trouver une marraine de guerre mais j'ai refusé.



Samedi 15 mai 1916

Un pâle soleil illumine l'horizon. A midi, on a des haricots en boite mais en plus petite portion.  Je pense à mon village que je ne reverrai peut-être plus. C'est Quarré-les-Tombes, un bled dans l'Yonne. J'espère que ce n'est pas prémonitoire. Je n'ai pas connu mon père et m'a mère m'a élevé seule comme elle a pu. Et puis elle est morte. J'ai donc été pupille de la nation.

La nation, le pays, la patrie, tout ça me passe au-dessus de la tête. 

Comme la plupart, je suis là parce qu'il faut.

Dimanche 16 mai 1916
J'ai commencé à voir des rats, des vrais, qui courent par la tranchée.

Samedi 22 mai 1916
Les rations ont diminué de façon inquiétante. J'ai faim.
Nous avons tous faim. Heureusement, on ne nous plaint pas le pinard. Certains errent dans la tranchée avec des lueurs bizarres dans l'oeil. Je recommence à voir des rats. Et des serpents aussi, des scolopendres. Hier, j'ai eu une crise : je frappais les parois de la tranchée en hurlant. Fernand et Arthur ont eu du mal à ma maîtriser. 
Comment tout cela va-t-il finir ? 


Fantasio


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En ce jeudi 14 mai 1916, je me réveille dans cette même tranchée dans laquelle je suis affecté avec mes camarades depuis maintenant 15 mois. Ce matin-là a un petit air printanier, malgré l'odeur de mort qui règne depuis 5 jours aux alentours suite aux derniers obus éclatés de part et d'autres du Front et qui ont semé la mort ...Nous n'avons pas pu ramasser nos camarades morts pour cette France qui nous méprise, car le temps est trop dégagé pour se permettre de sortir de notre boyau protecteur des bombardements ennemis. On attend donc que le temps se couvre pour aller chercher les cadavres, parfois méconnaissables. 

En attendant, on tue le temps avec mes comparses. Marcel a reçu de sa famille un jeu de tarot. On y joue dès que l'on peut. On a ainsi l’impression de se retrouver dans nos vies d'avant, entourés de nos familles et de nos amis, comme un samedi soir après une dure semaine de labeur aux champs ou à l'usine! Une belle soirée méritée et appréciée à sa juste valeur. Même si le vin qui circule est de bien piètre qualité, il a l'avantage de vite brouiller les esprits.S'il n'y avait pas cette terrible odeur macabre qui s'accrochait même à notre peau, on pourrait se croire un de ces fameux samedi soir, tant la partie de cartes est joyeuse et endiablée!

Il faut dire que les officiers sont généreux en mauvais vin et en tabac brun...alors on se retrouve parfois dans des états pitoyables dès le matin.

Emile, l'instituteur, poilu lui aussi de son état, est logé à la même enseigne car il a refusé le statut de sous-officier qu'on lui offrait.Il avait vite compris que seuls les gars du peuple allaient au Front et faisaient ainsi une merveilleuse chair à canon pour cette France qui humiliait ses humbles citoyens. Il était horrifié par ce cynisme d'Etat et refusait ainsi de contribuer à ce massacre des classes populaires. Il faut dire qu'en tant que fils de communard, il savait d'où il venait et ne reniait pas ses origines ouvrières. Tout comme son père assassiné en 1871 lors des terribles échauffourées de la commune de Belleville, il voulait lui aussi mourir en héros, au Front!...

Ziza

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Ma chérie, Besoin d’évoquer ton souvenir, l’image de ton adorable visage pour conserver le souvenir du beau et du bon. Ici c’est un monde d’hommes, si l’on peut appeler hommes les barbus puants que nous sommes devenus.
Le temps est moins froid mais nos tenues lourdes de la boue des tranchées et de notre sueur est uniformément représenté dans ce boyau devenu notre demeure.

Ma chérie t’ai-je rêvée ? C’était le monde d’avant, celui auquel je me raccroche pour tenir ici.

Combien de temps encore cette non vie ? Heureusement, il y a les copains, l’amitié nécessaire pour conserver des valeurs de dignité, ne pas devenir fou.

Ne parlons pas de la peur, de la boucherie, de la faim et du bruit. Les générations futures que sauront-elles de cet enfer qui le notre ?

Y aura-t-il la paix un jour ? Plus jamais ça. Ces gosses, ces hommes jeunes servant de chair à canon. Les puissants déclarent la guerre, ils ne la font pas. Je risque être abattu pour cette pensée.

Mon amour, il faut que je t’évoque pour résister.  Repenser au bonheur pour contrecarrer, l’abattement, occulter l’insoutenable et me dire qu’il y aura un après de retrouvailles et de bonheur simple. Retrouver un lit, de l’eau coulant sur ma peau, un repas correct cuisiné mais surtout toi, toi qui est ma seule raison de vivre et soutien dans ce quotidien sans entendement.
Mon bonheur c’est quand je ferme les yeux et m’endors un peu en pensant à toi. Systématiquement. Vivement la relève. Si seulement cette fichue guerre pouvait finir vite. Ici nous ne pouvons qu’exécuter les ordres et ne savons rien de ce qui se passe réellement ailleurs. Censure et discipline.

Ma chérie, je ne pourrai même pas t’envoyer ces lignes : je ne veux pas t’alarmer.


Verdun ce 14 mai 1916

Fabienne


Le désespéré (autoportrait de Gustave Courbet)



Temps d'écriture : 10 minutes

Comme dirait ma grand-mère, Celui-là, on croirait qu’il a vu le diable !
En fait, c’est un diable à tête de percepteur, qui lui crie  Mais dis donc, tu n’as pas payé ton IRPP (1) à temps, toi !
Mon… quoi ? Ah ! Mes impôts ! - Ecoutez, j’ai gagné tellement peu que je n’ai pas voulu vous donner le mal de compter… Ah ! Vous l’avez fait quand même, tout seuls ? Et vous m’avez envoyé un avis d’imposition, précis, chiffré, bien sûr, en me disant où payer, et combien et quand payer ? Ah ! Vous êtes vraiment de grands professionnels, dans ce service - et je ne dis pas ça pour fayoter, dans l’espoir que vous me ferez grâce de quelques milliers d’euros… - Ah ! De toute façon, la grâce ce n’est pas ici, ce n’est pas votre rayon ?
Eh bien, écoutez, je vous le dis comme je le pense, ne le prenez pas mal… Mais vous êtes quand même un peu désespérants !


(1) Impôt sur le revenu des personnes physiques

Alain

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Julie allume le projecteur, tout le staff est réuni au 8ème étage, dans la salle bleue, celle qu’on appelle la salle des décisions.
Elle est fébrile, impatiente, elle joue sa carrière et elle le sait les concurrents l’attendent et veulent remporter le marché, c’est un gros contrat.
Elle projette la photo de l’image de Courbet, le désespéré, sur laquelle elle a ajouté en lettres dorées : L’Oréal, la marque qui rend vos cheveux beaux, souples et soyeux.
Silence, stupéfaction autour de la table.
Provocation ?
Julie sent les regards sur elle, aux rictus des autres, elle comprend, son boss est sidéré, il a cru en elle, il a voulu lui faire confiance… Il n’a aucun mot, il est stupéfait.

Julie quitte la pièce en pleurant, elle jette un dernier coup d’œil à la salle bleue et à Courbet qu’elle trouve presque compatissant.

Véronique


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Installé dans un coin de son atelier, Gustave se regardait dans un miroir piqueté. Il passa une main dans ses cheveux, une autre ... il ouvrit les yeux en grand, à la limite du supportable. Non, non, décidément, ça n'allait pas.
Le modèle qu'il avait contacté pour un tableau intitulé "le désespéré", ne viendrait pas. C'était un ouvrier-zingueur qui arrondissait ses fins de mois en posant et là...un chantier imprévu le retenait loin de l'art et de l'atelier de Gustave Courbet. Heureusement Félicie, une fille peu farouche qu'il avait engagée pour un portrait très très intime, ne lui ferait pas défaut. Ça, il en était sûr. 
Gustave remonta les manches de sa chemise blanche et reprit la pose. 
Tout allait bien pour lui, il avait des amis avec lesquels il avait festoyé la veille et bu force chopines.
Soudain, comme un souvenir tenace, une ombre dans le tableau, Gustave repensa à Edmée, son aimée qui l'avait quitté pour un autre barbouilleur.
Elle lui avait fait honte en hurlant dans l'escalier, en déchirant ses lettres dont elle avait ensuite jeté les morceaux sur le trottoir.
Gustave sentit une grande main froide l'envelopper. Il était à deux doigts de se jeter par la fenêtre pour en finir définitivement. Il fallait.
Non, avant...il avait une toile à faire. Le miroir lui renvoyait une image dévastée de lui-même. La lumière était bonne...il n'avait plus qu'à commencer.


Fantasio


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Voici donc la tête qu'a faite ce brave Gustave, non pas lorsqu'on lui a annoncé la sentence au jugement de la détérioration de la colonne Vendôme à laquelle il semblait avoir effectivement participé (tout de même être condamné à 300.000 francs, c’était cher payé!), mais cette tête, on la doit à cette commande, Ô combien osée pour l'époque, de ce riche diplomate ottoman qui souhaitait que le peintre, chef de file des réalistes, peigne sa maîtresse attitrée, la belle Constance.
Gustave n'en revenait pas! Certes il commençait à avoir une belle renommée pour ses peintures réalistes mais il s'agissait de reproduire au plus juste la faune et la flore de sa Franche-Comté natale.
Peindre l'intimité d'une femme lui paraissait complètement incongru! Mais comme le diplomate turc ne regardait pas à la dépense, il accepta cette audacieuse proposition artistique pour de sombres raisons pécuniaires ...sans imaginer bien sûr un seul instant, que ce serait son oeuvre la plus connue un siècle plus tard!

Ziza


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Zut, je me suis encore fait flasher ! J’en ai marre : entre les radars et les amendes alors que l’on n’arrive pas à se garer faute de place ou ces parkings hors de prix je n’en peux plus.
Ce monde n’est pas fait pour moi. Des vaches à lait, voilà ce que nous sommes devenus pauvres automobilistes.
Le prix de L’essence ne cesse d’augmenter, les autoroutes déglinguées ont des à tarifs exorbitants, les limitations de vitesse et l’assurance augmentent, : il est temps de renoncer à ma voiture. Je l’aimais ma bagnole mais le sacrifice s’impose : je ne tiens plus la route. Tant pis, je draguerai autrement. De toutes façons j’assure plus. 


Fabienne

Striptoclip


Mots proposés un par un par les différents participants. Une minute environ pour chaque proposition.

Atelier : En sortant de l’atelier, je suis parti pour l'école. L’alternance, c’est sympa – sauf qu’on travaille toute le temps ! Même si c’est pour la bonne cause…
Jardinière : Il existait un magasin qui s’appelait La Bonne Jardinière. En plein Paris, c’était bizarre, en plus c’était rue de Rivoli - alors que, près du Jardin des Plantes, ce serait passé ! J’étais gamin, on m’y achetait des costumes, qu’on emportait dans une valise en carton, avec une poignée en carton et fil de fer…
Lunettes de soleil : Pour voir la vie en rose, met des lunettes roses. Parce qu’avec des lunettes noires, tu t’exposes à la déprime.
Râteau : On ne sait pas si la Belle Jardinière se prenait parfois des râteaux. En tout cas, sur ses affiches, son sourire était constant, et radieux.
Épluchures de pommes de terre : Il paraît qu’elles ont des vertus médicinales, mais dans le doute je les jette - dans le doute, et dans la poubelle. D’ailleurs, je suis bien portant, je n’ai pas besoin de remèdes même naturels.
Jardin public : Ah ! Les croisières sur le bassin de Jardin du Luxembourg, sur mon voilier trois mâts fraîchement équipé, cadeau de mon oncle pour mon anniversaire ! Et, oh ! La terrible tempête de 1992, qui le fit naufrager sans recours !
Marmaille : La marmaille qui s’habillait à la Belle Jardinière a grandi et, puisque la BJ n’existe plus, elle va chez C&A ou H&M… C’est moins poétique, mais plus moderne.
Collection :  Les collectionneurs ont des noms spécifiques : le bibliophile fait collection de livres, le copocléphile rassemble des porte-clés - mais comment s’appelle le bizarre qui fait collection… de collections ? – En plus, il n’amasse pas lui-même ses collections. Alors… !

Alain

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Jean regarde son œuvre, une larme coule le long de sa joue. Il décide de quitter l’atelier pour aller boire une bière chez Lulu.
Le café de Lulu est au coin  de la rue, la terrasse est pleine, les premiers rayons de soleil ayant fait leur apparition. Lulu a sorti les jardinières remplies de de fleurs roses et mauves.
Jean entre dans le café, il ne retire pas ses lunettes de soleil pour cacher ses yeux encore rougis de ses larmes. Lulu le regarde,  attendrie.
Il ne sait pas encore s’il va oser lui parler, lui dire enfin ce qu’il ressent pour elle. Il a tellement peur de se prendre un nouveau râteau !
Dans la cuisine derrière la porte battante en bois, tout le monde s’agite. Aujourd’hui c’est la journée de la pomme de terre. Depuis ce matin, les épluchures de pommes de terre de toutes sortes remplissent les poubelles. Les mains des cuisiniers sont collantes.
Jean ne peut parler à Lulu, ici, dans ce brouhaha. Il commence à boire sa bière, en gardant ses lunettes de soleil qui le protège et lui propose de se retrouver au jardin public à 19 heures.
Il se dit qu’à 19 heures, toute la marmaille du quartier sera partie prendre son bain pour se coucher tôt, demain il y a école. Ils seront tranquilles !


Lulu accepte sans hésiter la proposition de Pierre. Il se détend, ôte ses lunettes de soleil et regarde Lulu. Il espère alors qu’elle ne fera pas partie de sa collection d’échecs. 

Véronique


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Robert poussa la porte de l'atelier. Il faisait chaud là-dedans. De petits grains de poussière dansaient dans l'air. Au fond, il distingua une silhouette. Son ami Georges tait en train de réparer une jardinière en pitchpin. Marteau, lime, rabot, tout le matériel était aligné à côté de lui. Pour protéger ses yeux, faute de masque, il avait chaussé des lunettes de soleil ridicules. Robert lui lança entre deux rires : 

- Dis donc, si tu me parlais un peu du râteau que tu as pris hier en boite ? 

Georges se rembrunit. Il tenta de botter en touche en évoquant une épluchure de pomme de terre sur laquelle il avait glissé en dansant avec sa cavalière, Jessica de son prénom. Plus tard, ils étaient sortis dans la nuit, mais le jardin public était fermé. Jessica voulait rentrer : sa marmaille l'attendait plus ou moins, gardée ce soir-là par sa belle-sœur. 
Bah, dit Robert, vous vous reverrez. Hein...vous vous reverrez ?
Georges se concentrait sur la jardinière.
C'est une pièce de collection, soupira-t-il, il paraît qu'elle a appartenu à Sarah Bernhard.


Fantasio

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Atelier ? Vous avez dit atelier ? il en existe de toutes sortes mais il en est que je préfère. Pas les manuels en tous genres, style bricolo et compagnie : j’ai deux mains gauches et n’ai jamais été douée. Des idées de déco que je ne concrétise jamais d’ailleurs.
Ceux  que j’aime, ce sont ces jardinières de vocabulaire, ceux où l’ on écrit à partir d’inducteurs. Les mots fusent, les phrases succèdent aux mots. Nul besoin de se cacher derrière des lunettes de soleil si l’on a honte de ce que l’on écrit. Tout est accepté et la bienveillance est de rigueur. Pas de râteau pour les mêmes raisons : tout est accepté, l’humour en sus. Exemple, les épluchures de pommes de terre peuvent apparaître au centre d‘une composition florale ou dans le ventre d’une baleine : ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est de s’amuser, comme les gosses dans un jardin public que des vieux regardent avec attendrissement. Elle est déjà loin l’époque où c’était eux qui surveillaient leur marmaille  en ne se doutant pas que le temps filerait à toute allure et que peut être ils regretteraient cette époque surchargée de leur vie.

Maintenant, ils ont le temps de se rendre à des ateliers, ces fameux ateliers d’écriture qui fleurissent en collection abondante alors qu’il y a quelques années personne ne savait de quoi il s’agissait ; les gens croyaient qu’Il s’agissait de calligraphie ou de rédaction. NON non, je le crie, il n’est question là que de s’amuser et de découvrir ce qui est produit. Et là c’est la surprise totale.

Fabienne