mercredi 10 juin 2020

Scène de crime ...



A 8H00 on retrouve le corps de Madame Blanche dans la bibliothèque, tuée d’un coup de couteau …
 

Appelé sur les lieux ... le lieutenant Piron, 35 ans, blouson fatigué et barbe soigneusement négligée prend les choses en main : enfin, c'est vite dit. Mme Blanche oeuvre ici comme bibliothécaire deuxième échelon. C'est (ou plutôt c'était) une femme qui, au travail comme chez elle, soignait ses tenues : cardigan bleu pâle, chemisier et robe noires, chaussures fines. Son visage, bien maquillé porte encore la trace d'une sorte de surprise qui l'a saisie en sentant la mort arriver.

Piron grogne : - Alors,  qui a découvert le corps ?

  • C'est moi ... indique Mme Glandier, la chef. Elle a l'air tendu, des cheveux teints en roux et un look de sportive : de fait, on apprendra qu'elle court deux fois par semaine au bois et qu'elle a déjà gagné plusieurs marathons. La bibliothèque – municipale – se trouve dans une rue passante, tout près de la mairie. Mme Blanche arrive en général la première. C'est elle "qui ouvre", comme on dit. Elle arrive tôt pour procéder à des rangements, classements ou autres. La chef se pointe vers 9h. Les autres employés, Mme Donat et un stagiaire du nom de Serge Barrot, c'est plutôt 10 h voire 10h30, Mme Glandier n'étant pas trop exigeante, du fait que la bibliothèque n'ouvre qu'à 11 heures. Et ferme à 17 heures. Nous sommes dans une petite ville, après tout.

  • Connaissiez-vous des ... ennemis à Mme Blanche, demande Piron qui a lu et relu ses classiques.

  • Non, affirme la chef. C'était une femme divorcée. Une vie calme, donc, enfin je suppose ... avec des amis et amies. Elle avait encore sa vieille mère qui vit à 10 kilomètres, dans une rrésidence pour ...

  • Ca va, ca va, coupe le policier. Il se gratte le crâne en suivant, par la fenêtre, le chargement du corps dans le fourgon ad hoc.

  • Piron reprend : - Vous êtes donc arrivée bien plus tôt que prévu ?

  • Un hasard, plaide Mme Glandier, je fais de l'insomnie ... et plutôt que de tourner et virer dans mon lit, je me suis habillée et je suis venue. Mais Mme Blanche, elle, était là ... bien plus tôt. Ce n'est pas normal. 

  • Si ça se trouve, souffla le stagiaire, elle fait AUSSI de l'insomnie ?

  • Pourquoi pas ? Piron décide d'isoler ces gens : il colle la chef dans son bureau, le stagiaire à la réserve et se concentre sur Mme Donat, prototype de la quinqua mariée, avec de grands enfants déjà partis du nid : elle découpe les articles sur les nouveaux romans qui paraissent et les colle sur un panneau, pour "donner des idées". Elle est lunetteuse et résignée, bibliothécaire depuis, pfffff ! Elle ne compte plus. Piron a repéré un détail troublant : elle paraît chausser du 43. Y aurait-il anguille sous roche ? Est-ce que ce ne serait pas ... un homme, ayant quitté le domicile conjugal et trouvé le calme en se travestissant ? Mme Blanche pourrait bien être l'ex'. Percé à jour, Donat panique. Mme Blanche lui a donné rendez-vous à la bibliothèque. Pour parler. Une scène s'en est suivie, avec le coup de couteau dans le ventre qui fermerait une bonne fois le dossier. Et la chef ... la tonique Mme Glandier ? Une relation amoureuse aurait pu exister entre les deux femmes, oui, oui oui ! Ca dure deux mois, six mois... et puis Mme Blanche se lasse : l'amour à la hussarde, les coups de rouge sur le zinc et les footings matinaux dans la boue, elle en a assez. Comme de l'odeur du cigare que la chef fume, après l'amour. Les deux femmes se voient ce matin-là. Mme Glandier, pressentant le pire, a préparé un argument ... pointu. Ca dégénère et c'est la fin de Mme Blanche qui, de toute façon, avait déjà jeté son dévolu sur l'épouse de l'adjoint au maire, une gaillarde, paraît-il.Et Serge, le brave stagiaire ? Ce ne sont pas les mobiles qui manquent !Leur relation a tourné court. Ou plutôt ... lui aurait bien aimé se dépuceler avec Mme Blanche : elle a vite mis le hola, mais Serge est têtu. Il insiste, menaçant de faire courir des bruits sur elle, qu'elle vole des livres, par exemple ou consulte des sites interdits. Mme Blanche, à bout, lui a donné rendez-vous à 7h45, sur leur lieu de travail. Se débattant face aux assauts du stagiaire, la malheureuse a tâtonné sur la table en quête d'une arme. Serge a vu le coupe-papier plus vite et s'en est emparé pour la réduire au silence une fois pour toutes. Avec une pensée du genre : Puisque je ne l'ai pas ... personne ne l'aura !

  • Oui ? Mme Donat s'étonne. Elle s'attendait à une enquête en règle, des questions et voilà que Piron la fixe de ses yeux à la fois globuleux et pensifs.

  • D'abord ... première question. Qui ...A ce moment, le portable du lieutenant sonne :

  • Oui ? C'est  un collègue. Il appelle du commissariat : 

  • L'enquête est close, on tient le type !

  • Le type ?

  • Oui, il est venu se dénoncer lui-même. C'est Riri ... tu sais bien, le SDF. Tôt ce matin, après une nuit bien arrosée, il zonait du côté de la bibli. Il a vu une femme. Dans son délire, il l'a prise pour la sienne qui l'a quitté il y a 5 ans. D'où, hop ! Coup de couteau. La pauvre victime ...

  • Mme Blanche ...

  • Oui. Donc elle a juste eu le temps d'ouvrir la bibliothèque, de s'y enfermer ... pour agoniser, au final, sur la chaise où on l'a trouvée.

  • Tu m'en diras tant !

  • Je suppose que, dans ta petite tête, tu étais déjà en train d'échafauder des kyrielles d'hypothèses ...

  • Moi, dit Piron, tu rigoles ! Je n'ai AUCUNE imagination ! 


Gérard


_______________________________________________________________

Saleté de Madame Blanche

Depuis des mois l’inspiration lui manque.

Comme une âme, s’il en possède encore une, comme une âme en peine disais-je, il erre dans la maison, dans le jardin, dans la ville sans rien voir.

Plus de curiosité, le regard sur les choses et les gens reste en surface, aucune sensation, aucun sentiment ne lui parvient, il reste hermétique à ce qu’il entoure.

Il respire, marche, mange, boit, parle sans être là… Si au moins il se sentait ailleurs… mais rien.

Ce corps déambule, il le regarde bouger, c’est lui paraît-il…

Il ne l’aime pas ce corps, dégingandé, trop grand, trop fin. Un sourire figé. Celui qu’il utilise lors des dédicaces, charmeur auprès des femmes et des hommes ; des clients, seulement des clients.

Au début de son succès il a adoré ces regards partagés, complices dans leur plaisir commun. L’histoire écrite appréciée par ce lecteur, là, devant lui, de fait l’écrivain et le lecteur s’aimaient déjà, communiaient par un sourire complice. Que de doux frissons alors…

Il inspecte ces souvenirs sans mélancolie, sans joie, sans réelle conscience d’avoir été cette personne heureuse.

Pierre, oui il s’approprie totalement son prénom, il est pierre. Une pierre lisse, les mots, les caresses, la pluie, la tristesse, la beauté glissent sur lui, l’érodent doucement.

Il se dirige vers la bibliothèque, prend le coupe-papier et poignarde la feuille désespérément blanche, «Saleté de Madame Blanche, tu ne me provoqueras plus».

Patricia

________________________________________________________________


Sa dernière lecture


C'est à 8 heures du soir qu'on retrouva Madame Blanche dans la bibliothèque. Elle était assise dans un fauteuil crapaud, mais elle qui avait été une grande lectrice ne lisait plus, même si un mince volume se trouvait encore sur ses genoux, apparemment retenu par les plis de sa robe. La femme enjouée et accueillante, qui les avait tous invités pour le week-end, était morte. Par la faute d'un couteau de cuisine que quelqu'un avait planté dans son ventre. 

Son mari, Francis, se rua sur son portable, pour appeler la police - C'est quel numéro, déjà ? - tandis que les autres restaient les bras ballants, ne sachant que dire ou faire. Retourner dans le hall, sortir dans le jardin, tout mouvement paraissait interdit, en tout cas déconseillé puisque susceptible d'être mal interprété, plus tard. 

Ce plus tard, c'était le moment, fastidieux, de l'enquête. Deux policiers, des inspecteurs ou adjoints, on n'avait pas bien compris quand ils s'étaient présentés, en quelques mots - à la façon de professionnels ayant hâte de se mettre au travail. 

Tout avait l'air très simple. Ou très compliqué, selon le point de vue d'où on se plaçait. Aucun des invités ne se rappelait avoir franchi la porte de la bibliothèque. Renaud, la quarantaine sportive et le sourire facile, résuma ce qui pouvait être le sentiment général : « Eh... ! On est en week-end, on ne va pas se précipiter dans les bouquins ! » 

Le plus âgé des policiers remarqua que Madame Michaud, la cuisinière mais aussi bien jardinière, et intendante, et à l'occasion secrétaire de Francis, manifestait une sorte d'hésitation. Il la pressa, peut-être avait-elle quelque chose d'autre à dire ? 

Elle se troubla, Après une courte et intense réflexion, elle lâcha, d'une voix étouffée : 

- Il y a un quart d'heure, j'ai aperçu... Francis qui se faufilait hors de cette pièce !

Les deux policiers de regardèrent, surpris d'être, pour ainsi dire, déjà au bout de leurs peines. La femme ajouta, brusquement suppliante : 

- S'il vous plaît, ne lui dites pas que c'est moi qui l'ai... dénoncé !

- Ce ne sera sans doute pas possible, Madame, répliqua, sans brutalité, le plus jeune.

Ils lui tournèrent le dos et se mirent en quête du mari. 

Celui-ci avoua, assez rapidement - comme si, au fond de lui-même, il ne s'était pas attendu à s'en sortir comme cela..                                                                   - Je ne sais pas ce qui m'a pris, confia-t-il à ceux qui l'interrogeaient. Elle s'était aperçue que je la trompais... Ce n'était pas la première fois, pourtant, ni la première fois qu'elle le savait - mais là, elle l'a particulièrement mal pris... Peut-être parce que c'était avec Régine, je veux dire Madame Michaud, ma secrétaire, oui ! 

Il soupira :                                                                                                            - Vous savez, je ne travaille pas, enfin, je ne gagne pas ma vie, quoi ! C'est ma femme qui subvient, et là elle était tellement furieuse, elle m'a prévenu qu'elle allait me couper les vivres, et demander le divorce ! Alors, alors, j'ai vu rouge, qu'est-ce que vous voulez ! 

Alain