jeudi 28 mai 2020

Les casquettes sur le fauteuil...


Proposition : se laisser inspirer par la photo pour écrire ...

C'est dans l'orage qu'on connaît le pilote (Sénèque) 

Cette pensée, Nadine, soixante-huit ans, l'avait légèrement détournée. Chez elle, dans son petit deux-pièces, un rez-de-chaussée donnant sur une rue de Brest, elle avait écrit en gros au-dessus de la cheminée : « C'est dans le lit qu'on connaît le pilote." »

Et elle guettait donc, fenêtre ouverte, le passage des commandants de bord du port voisin. Ils passaient immanquablement devant chez elle pour rejoindre la gare toute proche ou une station de taxi. Il y en avait des petits, des gros, des jeunes à boutons, des quadras au regard assuré, aussi : c'est ceux-là que Nadine préférait. Leur demander un renseignement était facile et les attirer chez elle sous un prétexte quelconque, du gâteau. Justement, elle en avait préparé et le leur offrait, en même temps qu'une tasse de café. Là, elle minaudait :

  • Mmmmh, il fait chaud, non ? Vous devriez vous mettre à l'aise, enlever cette veste d'uniforme ...ou l'ouvrir, déjà ? Et cette casquette ! Non, mais, on se découvre devant une dame. 

  • Vous croyez ? 

  • Alleeeez, insistait Nadine, mutine.

Et l'homme obtempéraient. Assis côte à côte sur le canapé, un canapé vraiment étroit,  ils entamaient la conversation et Nadine n'était pas avare de questions concernant les bateaux, les escales, et les pays qu'ils avaient pu découvrir. 

La suite ? Eh bien la suite leur appartient, mais ces soirs-là Nadine, crevée, se couchait juste après le journal de vingt heures.

Le lendemain matin, les yeux brillants, elle ouvrait, le placard où elle rangeait leurs casquettes, ces couvre-chefs qu'elle persistait à ne pas retrouver au moment de leur départ. Il s'y ajoutait même des bérets de marin, car elle avait commencé petit.

Certains auraient appelé ça des trophées. Pour Nadine, c'était tout au plus des souvenirs. Mais c'est vrai qu'elle en avait une sacrée collection ! 

Gérard

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Juste avant le grand Bal


Christiane entrait dans le vestibule,  quand elle remarqua, empilés de façon à dire vrai un peu désordonnée sur un fauteuil Louis XVI, des képis d'officiers de marine. Peut-être, d'ailleurs, le terme exact n'était-il pas képis, mais qu'importe ! Au sol, elle aperçut, jetés aussi négligemment, des bonnets de matelots, ornés de jolis pompons rouges.

Elle hésitait avant de franchir la porte, encore close. Là, c'était la salle de bal, le lieu magique où tout allait se dérouler. Qu'est-ce que c'était, déjà ? Le bal de l'Empereur, toilettes éblouissantes et brillants uniformes, sous les lustres dont la lumière avait connu ce type d'événements depuis plusieurs siècles ? Le bal de l'Ecole navale, plutôt - car elle ne savait plus trop si la Royale participait au bal de l'Empereur... La Cavalerie, oui, bien entendu. L'Artillerie, sans doute. Mais la Marine... ?

Il allait en tout cas se dérouler un événement prestigieux, glorieux, la sorte d'apothéose qu'une jeune fille, pour peu qu'elle soit bien née (et c'était le cas de Christiane) attend, espère, plusieurs années durant. Auquel elle se prépare, qu'elle anticipe, qu'elle répète au besoin, qu'elle vit plusieurs fois dans son imagination avant de le connaître enfin pour de bon, dans sa vie réelle. Et celle-ci en sera marquée à jamais... !   

De l'autre côté de la porte, de belles dames en robes à l'ancienne consultaient leur carnet de bal, tout en enrageant secrètement à la pensée que telle de leurs voisines paraisse plus belle qu'elles. De jeunes sous-officiers plaisantaient pour cacher leur nervosité. Déjà, on entendait l'orchestre qui s'accordait. Christiane sentait son cœur qui déjà battait plus fort. Le bal, la musique, les uniformes...


Elle soupira. Se retournant, elle appela l'homme qu'elle avait aperçu en arrivant : 

- Monsieur, s'il vous plaît ? - Combien pour ceci... Les casquettes ?

- Je vous laisse le tout pour 25 euros, fit le marchand, avec un léger haussement d'épaules. Ça m'encombre, je n'ai déjà pas trop de place... !


Alain


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Casquettes et bachis vides... de sens


Le COVIDOIE a sévi en 2058. 

Vous vous demandez pourquoi ce nom, tout simplement parce qu’il viendrait cette fois-ci des oies qui se sont multipliées en Europe depuis une trentaine d’années. 

Pas sauvages du tout les oies, donc nous les mangeons.


Les confinements successifs avec parcs fermés au public, public lui-même cloîtré, et le réchauffement climatique aidant,  les animaux migrateurs n’ont plus migré, les migrants des pays du Sud de l’Europe et de l’Afrique se sont installés au nord.


Même phénomène pour l’Amérique dont les murs érigés au début du 21ème siècle ont été détruits, laissant libre le passage à tous les affamés des régions dévastées par la sécheresse.

La politique agricole dévastatrice menée au Brésil durant une quarantaine d’années a ravagé la forêt amazonienne.


La suite logique des confinements successifs est le ralentissement de la production en tout genre, en conséquence, les pilules contraceptives féminines et masculines, ainsi que les préservatifs ont cruellement manqué.

La population n’a pour autant pas retenu ses pulsions, le nombre des naissances a quadruplé.


Plus de place. Aujourd’hui nous vivons dans une promiscuité étouffante.


Une solution vient d’être proposée, la réduction de la taille moyenne de l’humain. D’un mètre soixante-quinze, il passerait à quatre-vingt centimètres. Testé sur différents animaux, le protocole semble au point.


Les états ont décidé de l’expérimenter sur l’homme, la marine nationale a été choisie pour initialiser cet essai. 

Une vingtaine de capitaines et matelots se sont rendus à l’hôpital Bichat cette semaine où va leur être administrée la molécule censée sauver la planète.


Désabusés d’avoir été choisis, ils avaient jeté leurs coiffes, casquettes et bachis, dans le bureau de l’amiral.


Patricia

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Les casquettes …

Jeanne vieillit inéluctablement et elle sent ses forces la quitter, elle qui était « une force de la nature » comme on dit ! Elle pense qu’elle ne fêtera pas Noël cette année (on est aux environs de Pâques), alors elle se fixe un dernier objectif avant de quitter ce monde :  vider sa maison pour éviter ce pénible labeur à ses enfants à sa disparition.

C’est ainsi qu’elle s’attelle à cette lourde tâche, seule. Elle sait que c’est un travail colossal, mais elle veut partir et que tout soit réglé avant …elle trie, range et jette depuis des semaines quand elle tombe sur une ancienne boite de métal piquée par le temps, oubliée dans l’armoire « de l’étage des enfants » (la fratrie s’étant agrandie au fil des années -on parle d’une époque où les naissances n’étaient pas contrôlées-, les combles sous les toits étaient devenus des chambres multiples pour accueillir les nombreux enfants, au nombre de 8 !).

Elle feuillette distraitement les vieilles photos qui s’y trouvent, et croise le regard et le sourire figés de chacun de ses enfants, à des âges différents. Elle y retrouve également des clichés plus anciens, avant d’être mariée…elle se replonge avec nostalgie dans ces années douces et insouciantes…

Son cœur s’arrête soudain de battre quand elle tombe sur cette photo, représentant une pile de casquettes de la Marine navale déposées négligemment sur un fauteuil crapaud recouvert de toile dorée. C’était la grande mode dans les familles bourgeoises de l’époque !

Tout lui revient à l’esprit en un instant ! L’arrivée joyeuse de ces jeunes marins venus fêter les 20 ans de leur camarade, Louis (son frère). A peine arrivés, ils ont jeté leurs casquettes sur ce fauteuil pour être à leur aise. Parmi eux, Jean, le meilleur ami de Louis depuis qu’ils étaient petits. Et Jeanne, secrètement amoureuse de ce beau marin au regard vert, qui ne voyait en elle qu’une gamine, alors qu’elle avait à peine trois ans de moins que lui ! A croire qu’il ne l’avait pas vue devenir une jolie jeune fille, alors que tous les autres marins lui faisaient des œillades, dans le dos de ses parents bien sûr ! C’est sûr, aujourd’hui, elle est lui déclare sa flamme (et au diable la convention :elle se fiche bien du « quand dira-t-on ! ») car dès mardi, la troupe de marins embarque pour une contrée lointaine, et Dieu sait quand elle le reverra !

La soirée passe, et elle n’a pas encore trouvé ni l’occasion, ni le courage d’aller lui parler, quand enfin, elle puise au fond d’elle l’énergie nécessaire pour y aller …c’est à ce moment-là qu’une main saisit son avant-bras, et l’attire au milieu du salon transformé pour l’occasion en piste de danse. Une valse, puis deux, puis trois …la tête lui tourne. Elle danse à perdre haleine dans les bras de son danseur qui ne semble pas prêt à la lâcher. Elle ne sait plus très bien où elle en est car la musique et la danse l’ont enivrée !

La soirée touche à sa fin. Tous les regards sont tournés vers eux. Ce sont les derniers sur la piste. Jean a disparu.

C’est ainsi que l’histoire avec Auguste a commencé …

Elle n’a su que des années plus tard, à la naissance de son 1er enfant, que Jean avait également le béguin pour elle, selon les aveux de son frère, mais qu’il n’avait jamais osé le lui dire. Il comptait sur la fête de l’anniversaire de Louis pour demander ce jour-là sa main à ses parents…

Jeanne referme la boîte avec une vive émotion qui lui déchire le cœur.

ziza