mardi 12 mai 2020

Tout est question de point de vue ...

Ecrire un texte sur un tableau que vous aimez selon le point de vue : 
- du peintre 
- du galeriste 
- de l'acheteur 
- de l'expert

J.A. WHISTLER, Nocturn in grey and gold, 1872

J.A. WHISTLER : Oui, je me souviens... j'ai peint cette toile en 1872, à Londres, où je séjournais. Saleté de temps ! De la neige et encore de la neige. Ca m'arrangeait bien, dans un sens, vu mes recherches de l'époque sur la lumière ! C'était un soir, vers 23h, je revenais du pub ... la façade encore allumée, là, vous voyez ? Et j'ai regardé dehors ... J'avais le choix entre cuver les huit bières que j'avais avalées et, la fenêtre ouverte, sortir une toile pour tenter d'immortaliser "l'ambiance" ! Drôle d'ambiance ! Un certain William, je me souviens ... m'avait couru après dans la rue, avec un baratin du genre : "Allez, tu ne vas pas déjà rentrer ! Lâcheur ! " C'est lui qu'on voit, retournant au pub illuminé comme un gâteau d'anniversaire. Il a les mains dans ses poches, à cause du froid. Sacré William ... il est mort, trois mois après d'une cirrhose du foie. Ou d'une fluxion de poitrine, je ne sais plus. 

Enfin, paix à son âme ! 


LE GALERISTE : C'est une toile volée, en fait. Si ! c'est une toile qui a été volée ... puis retrouvée. Elle nous vient d'un musée des States ... puisque le peintre était américain. Vous avez bien sûr reconnu le vieux James Abott Mc Neill Whistler et son boulot pas possible sur les nuances et les teintes. Et ... pardon ? Et la lumière, bien sûr, j'allais le dire ! Pas drôle, au fond, la vie de type ! Non, je ne dirais pas que c'est l'Utrillo des ricains ... mais avouez que, côté paysage,  ça ne respire pas la joie de vivre ! Ce tas de neige ... ces façades ! Et ce flou partout, comme si l'artiste avait mal nettoyé ses lunettes. C'est ? ... C'est fait exprès ! ... Merci, je ne m'en étais pas douté. Quand même, vous direz ce que vous voudrez, mais c'était un fortiche, Whistler ... et sa cote, d'ailleurs, n'arrête pas de monter ... je dis ça, moi, je ne dis rien ! 


UN ACHETEUR : Je tiens à tout prix à l'avoir chez moi, Mr Stone ! Et quand je dis à tout prix ...  ! Oui, je me doute bien que vous n'allez pas me faire de cadeau ! Imaginez-vous que dans le living de ma villa de quatorze pièces, je viens de me faire installer une nouvelle cheminée ... Enfin, ma femme, ma charmante Olga ! C'est elle qui a le dernier mot, chez nous, en ce qui concerne la déco ! C'est elle qui paie, vous me direz ... mais enfin quand même ! 

Bref, elle a choisi une cheminée dans les tons beiges avec un canapé marron et des coussins gris, mais rehaussés de petits liserés blancs et dorés. Et c'est précisément ... mais précisément, il n'y a pas d'autres mots, la toile qui irait divinement avec les couleurs dont je viens de vous parler ! 

Allez, soyez chic, Mr Stone, dites-moi un prix ... et surtout dites-moi que vous êtes vendeur car sinon, mon Olga sera terriblement déçue ... et ce n'est pas ça que vous voulez ... hein ? 


L'EXPERT : Cher monsieur, c'est un faux. Oui, un faux habilement réalisé ... mais un faux. Le faux Whistler ne court pas les rues, il faut bien l'avouer ... mais c'est juste parce que ce peintre n'a pas, comment dire ?  la notoriété qu'il mériterait ! Il doit exister au monde cinq ou six copies de ... Nocturn in grey and gold ...oui, la toile s'appelle comme ça ... et vous en êtes un des heureux propriétaires ! Quoi faire ? Est-ce que je sais, moi ... je ne travaille pas pour le FBI ! Vous pouvez toujours vous retourner contre celui qui vous l'a vendue,  un certain ...  ? Ah, vous ne connaissez même pas son nom !  

Remarquez, le fait que vous l'ayez achetée dans une galerie éphémère ... aurait pu vous mettre la puce à l'oreille ! 

Une galerie éphémère ! Pourquoi pas une vente de garage ? 

J'ai bien peur qu'il ne vous faille dire adieu à vos 138 000 dollars ! Eh oui, mon bon monsieur, dans le marché de l'art, il y a des bonne affaires et des ... pardon ? Ah, là, je vous laisse le choix du mot !


Gérard


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Michael SOWA, Zwei personen in einem Zimmer

Peindre notre époque

Le peintre : 

Herr et Frau Schmidt voulaient leur portrait dans leur salon, eh bien ils n'ont pas été déçus... En fait, ils ont bien aimé, si, si ! En rigolant, Fritz m'a lancé : « Après, vous allez prétendre que c'est la condition humaine du 21ème siècle, on attend de pouvoir y échapper, et je guette l'arrivée du bateau, tandis qu'Angelica est déjà installée dans le canot, avec les vivres, les couvertures et quelques magazines ! » Et sa femme a souligné que le tableau, au mur, pouvait aussi passer pour un rappel de la culture, qui subsiste dans les circonstances les plus inhabituelles, et qui est une sorte de remède, en tout cas d'encouragement, pour nous dire que tout n'est pas perdu, jamais !


Le galeriste : 

Avec cette œuvre, sobrement intitulée Zwei personen in einem Zimmer, qu'on peut traduire approximativement par « Couple dans une chambre », Michael Sowa fait mine de s'essayer à la peinture de genre, alors qu'il s'agit en fait d'une exploration de notre condition, décrite avec l'ironie qui caractérise cet artiste allemand (né en 1945), qui a abordé aussi bien le surréalisme que l'illustration, et souvent représenté des animaux humanisés – ou des humains animalisés ? 


Le critique d'art : 

L'artiste, si l'on ose dire, nous mène ici en bateau, feignant de nous proposer une scène d'intérieur, alors que son propos est bien ailleurs : dans cet extérieur auquel nous n'avons accès que par le truchement d'appareils optiques, sorte de béquilles à l'insuffisance de nos capacités d'observation - une façon de renvoyer le spectateur aux défaillances de sa culture picturale, qui l'empêche à l'évidence de goûter les joies de l'Art ? 


L'acheteur : 

J'aime assez, ce genre de tableau, un peu loufoque, mais en même temps c'est très bien fait, il savait peindre, ce type ! Ah ! C'est un contemporain... ? Il est coté, comme peintre ? - Ah ! Quand même... ! Et celui-là... ? Hmm... Je vais voir, enfin, réfléchir, quoi ! Parce que tout cet orange, ça fait limite... clinquant, quoi ! D'un autre côté, l'atmosphère me plaît beaucoup... Seulement, il y a la taille, aussi, chez moi ce n'est pas si grand que cela... Il fait combien, sans le cadre, je veux dire ? 


Alain

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Wassily KANDINSKY, Color study : Squares with concentric circles - 1913

L’artiste

Je n’en peux plus de voir toujours la même chose en ce moment dans le monde de la peinture ! Les expositions se suivent et se ressemblent toutes ! J’ai l’impression qu’on est à bout de souffle…qu’on arrive à la fin de quelque chose ! Ce nouveau siècle doit marquer le monde de l’Art ou le monde de l'Art doit marquer ce nouveau siècle. Il faut que cela change, il faut de la modernité, je dirais même…une rupture brutale avec tout ce qui a déjà été peint jusqu’à présent ! Cela a bien l’air facile d’un point de vue théorique, mais concrètement, je peins quoi, moi?

Je tourne en rond …à force de vouloir mettre des ronds dans des carrés ! Des ronds dans des carrés ?! Mais oui, c’est cela, je le tiens mon concept pictural : la géométrisation!!!

Le galeriste

Cette toile a été peinte en 1913 par Kandinsky, peintre russe exilé près de Munich en Allemagne, où il vivait avec sa compagne Gabriele Munter (déjà réputée pour ses peintures). C’est durant ces années que son travail a évolué, passant de l’expressionnisme, à ce qu’on allait dénommer ultérieurement, l’art abstrait. Commence alors la période d’une productivité intense qui marque un tournant majeur dans le travail de Kandinsky qui trouve enfin le début de son chemin vers une peinture sans sujet, une peinture abstraite. Le groupe pose les bases d’un nouveau langage pictural : l’art abstrait, qui allait révolutionner tout le monde de l’art !

La période très féconde de Munich-Murnau s’achève brusquement en août 1914. Kandinsky, en tant que Russe, doit quitter l’Allemagne à la déclaration de la guerre. Il part avec Gabriele en Suisse, mais chacun se rend à l’évidence : la guerre va durer longtemps. Ils se séparent en novembre. Les six années passées à Moscou sont peu productives à l’exception d’œuvres graphiques et de quelques grands formats.

L’acheteur

Je ne comprends à l’art, encore moins à la peinture ! Et pourtant, en découvrant cette magnifique fresque réalisée par ma petite dernière à l’école maternelle (en dernière section) avec sa classe, j’ai eu un coup de cœur en la découvrant lors de la kermesse dans le préau en juin dernier !

J’ai complètement craqué pour ces couleurs éclatantes et ses formes géométriques simples ! C’est en discutant avec la maîtresse de Jessica, que j’ai appris que la fresque avait été inspirée par l’œuvre d'un peintre russe : un certain Kandinsky dont je n'avais jamais entendu parlé (je vous l'ai dit, je ne comprends rien à tout ça) !

Et voilà, je suis là aujourd’hui,dans cette célèbre galerie parisienne pour acheter mon coup de cœur ! Le galeriste s'est senti obligé de me raconter la vie de l'artiste à travers sa période "Murnau" mais je dois dire que je m'en moque bien de tout cela, car je vais l'acheter cette peinture, il a pas besoin de me sortir toute sa science! Il faut dire que mes affaires ont bien marché ces dernières années avec les ventes sur internet de mes produits « made in China », alors je m’offre cette toile qui trônera bientôt dans mon salon ! Tout le monde pensera que c’est Jessica qui l’aura peinte : je serai le seul à connaître ce petit secret… Je vais d’ailleurs aller chez le notaire pour établir un testament afin d’assurer un bel avenir à ma tribu ! On ne sait jamais, quelqu’un pourrait avoir la mauvaise idée de jeter cette peinture s’il m’arrivait quelque chose!

Le critique d’art

La quadrature du cercle est un problème classique de mathématiques apparaissant en géométrie. Il fait partie des trois grands problèmes de l'Antiquité, avec la trisection de l'angle et la duplication du cube. Le problème consiste à construire un carré de même aire qu'un disque ... aux prises avec les outils dont il dispose pour « mettre un cercle au carré ». Cette problématique qui a traversé les siècles, a été le point de départ de toute la réflexion qui a nourrit le travail de Kandinsky et il l’a transformée en langage pictural universel à travers cette œuvre graphique aux aplats de couleurs s si singuliers . C’est ainsi que cet artiste majeur du XX° siècle est devenu le fondateur de l’art abstrait grâce à sa théorisation de l’art.

Ziza