jeudi 25 juin 2020

Un conte, revu et ...corrigé!

Choisissez un conte pour enfant, parmi les auteurs les plus connus : Perrault, Andersen, Grimm... et racontez-le à votre sauce, d'un autre point de vue.

Par exemple, au lieu de raconter le point de vue de Cendrillon, racontez celui de la méchante marâtre, pour la rendre moins caricaturale. Elle pourrait aussi avoir ses propres problèmes,  son propre passé d'enfant martyre, ou autre...


CENDRILLON REVISITEE


Je sais qu'on ne m'aime pas, mais ça m'est égal : je suis Cunégonde, la demi-soeur de Cendrillon. Pourquoi est-ce qu'il n'y en a que pour elle, je ne comprends pas. 

Quand notre père s'est remarié, il nous a fait venir, ma soeur Berthe et moi, au palais. On avait de beaux habits, des serviteurs ... et on aurait dû partager avec une fille d'un "premier lit" comme on dit ? Cette nommée Cendrillon, elle n'était pas trop moche, d'accord, et notre père l'adorait : une raison de plus pour la transformer vite fait bien fait en souillon. Pour qu'elle devienne notre femme de chambre, notre servante ... notre esclave. Ha, ha ! On a bien ri, avec Berthe, de la voir avec son museau noir et ses hardes, tâcher de trouver un morceau de pain dans les restes de nos festins ! 

Quand il y eut cette fête, Cendrillon n'était pas invitée, bien sûr. Elle n'avait rien à se mettre ! Nous, parées de nos plus belles robes (satin, soie et tout le toutim !), on était fin prêtes, nous poussant du coude à la pensée de Cendrillon cherchant, dans ses frusques de mendiante, une tenue à peu près acceptable. Sûr qu'elle n'y arriverait jamais !

Mais quand on l'a vue débarquer au bal, mieux habillée que nous, plus élégante, plus chic, plus ... tout ça, quoi, notre sang n'a fait qu'un tour. Il y avait là un mystère qu'il faudrait bien éclaircir un jour ou l'autre.

Ai-je dit, non, je ne crois pas, que Cendrillon avait des chaussures incroyables : tout en vair, c'est à dire en fourrure ! On a écrit depuis, dans "Gali" ou "Vois ça" que c'était des chaussures en verre. Ha, ha, les journaleux, je ne vous souhaite pas d'essayer de marcher ou de  danser avec des chaussures en verre ... c'est pour le coup que vous auriez très vite des éclats dans les orteils ! 

Bref ... à minuit, on a vu notre demi-soeur toute nerveuse. Elle ne vivait plus ; Elle regardait la pendule, puis encore une fois la pendule et elle a fini par s'en aller très vite. Par s'enfuir, devrais-je même dire, ce qui n'était pas très fûté vu qu'elle avait un ticket long comme ça avec le prince de Machintruc. Elle a dévalé les escaliers du palais à minuit moins deux ... en laissant, au passage, tomber une de ses pantoufles de vair. Le prince, cet abruti, au lieu de se rabattre sur de la volaille encore acceptable, ma soeur et moi, en l'occurrence, voilà qu'il récupère la pantoufle et qu'il la serre sur son coeur et qu'il lui fait des mamours. Ha, ha, il était vraiment mordu, le gars ! En plus, il a décidé qu'il épouserait celle qui pourrait enfiler la pantoufle. On s'est mise sur les rangs, Berthe et moi, mais elle avec son 39 et moi avec mon 42 fillette, on n'a jamais pu glisser notre pied dans cette pantoufle de naine. 

Le prince a tout essayé, des paysannes, des duchesses, mais bernique ... personne n'arrivait à mettre la pantoufle. Au bout du compte (ou du conte) il est revenu au château où le roi a bien voulu que sa première fille, la souillon, Cendrillon, donc ... essaie la pantoufle. O miracle, elle lui allait. Pas compliqué, puisque c'était la sienne ! Le prince, tout réjoui, l'emmène sur son cheval blanc pour en faire sa femme. Et toc !

On a bien sûr été invitées au bal ... mais la marraine de Cendrillon, un peu fée, l'a vengée : elle a fait verser notre carrosse dans une mare pleine de crapauds et de serpents. Ouh, les vilaines bêtes ! 

Gérard

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Je ne sais pas ce qu'elle veut, cette gamine !


Ah ! Je commence à en avoir jusque-là : chaque week-end c'est le même cirque, la gamine s'amène le vendredi soir, vers les 6 heures, avec l'air enfariné et un panier au bras... Coucou, Maminette, c'est moi... !

Je vois bien que c'est toi, j'ai encore ma tête, et le reste, grâce à Dieu ! Pardi, je la reconnais, toujours habillée comme l'as de pique, avec ses jeans déchirés - il paraît que c'est fait exprès, c'est tendance, tu parles ! - et ses piercing, ça j'ai du mal à supporter... Si elle voulait, elle serait mignonne, je ne comprends pas qu'on se défigure pour le plaisir ! Et maintenant, c'est nouveau, cette espèce de chapeau rouge, une sorte de capeline, ou de casquette, bref, une horreur encore, ça aussi ça doite être tendance... Tendancieux, comme argument, je trouve, moi ! 

Bref, et comme chaque fois, elle me fait le même cinéma : Devine ce que j'ai dans mon panier... ! - Oh ! Elle se prend pour l'animatrice de la valise RTL, ou quoi ? Quand j'étais gamine, à la radio il y avait L'Homme des vœux Bartissol, je crois que c'est une espèce de vin cuit... Le type se promenait dans la rue et interpellait les gens avec des questions à la con, et celui qui, premièrement l'identifiait comme l'homme des vœux et ensuite avait sur lui des capsules de l'apéritif en question, gagnait : x francs par capsule... Tu parles d'un truc !                                            

Donc, Adeline (Adeline... ! Où est-ce qu'ils sont allés chercher un prénom pareil ?!) secoue son panier... Comme si je ne devinais pas, à force, ce serait malheureux ! Ses parents m'envoient « des spécialités du terroir » - comme si c'était le trésor de Rackham le rouge, ou je ne sais quoi ! Déjà, c'est moi qui vis dans un village, eux ils sont juste adhérents à une AMAP, il y a bien de quoi frimer ! 

Je ne dis pas, c'est l'intention qui compte, seulement il y a toujours des trucs que je n'aime pas, genre topinambours ou aubergines - seulement c'est un lot, il faut prendre le tout, c'est comme ça ! 


Ce qu'il y a, en fait, c'est pas tellement une enfant qui aime beaucoup sa grand-mère... Bon, elle m'aime bien, on s'entend bien, toutes les deux, d'accord... Mais le fond de l'affaire, c'est que ses parents - ma fille et mon gendre, donc - se débarrassent d'elle chaque fin de semaine, comme ça, tu comprends, Maman, on peut se retrouver, avec Jean-Paul... Oui, je comprends bien, mais enfin elle a d'autres grand-parents, la petite, du côté de Jean-Paul (ou alors j'ai rien compris aux Sciences naturelles!), sans compter les copines, en plus elle a peut-être un mec, avec qui elle pourrait profiter de deux jours de liberté, ils s'enverraient en l'air, ils me feraient un arrière-petit-fils ou fille - mais un garçon ce serait bien : je n'ai pas eu de fils, ma fille non plus... 

Non, en fait, ce qui me gêne, dans tout ça, c'est que ça m'empêche - enfin, pas complètement quand même, disons que ça me gêne un peu - de vivre ma vie de femme, moi, il y a Louis qui vient me rendre visite. On joue à des jeux, par exemple, il joue au grand méchant, Louis, et moi à la petite Cosette qui est en même temps l'une des deux orphelines... On mélange tout, on s'éclate ! 

Mais finalement, l'appartement est grand, Adeline ne nous gêne pas tant que ça. Et puis on l'envoie dehors, au cinéma ou en boîte, elle est ravie, elle ne reste pas dans nos pattes ! 

Au fond, c'est plutôt une bonne nature, cette gosse...


Alain 


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Revu et corrigé !

Les contes de fées et leur morale participent à l’éducation des enfants, d’hier et d’aujourd’hui. Ils leur inculquent des valeurs et leur apprend à distinguer le bien du mal.

Mais en qualité de Belle au bois Dormant, il est temps que je me réveille pour enfin libérer ma parole !

Effectivement, le conte remanié de Perrault a mal vieilli et ne correspond plus aux attentes de la société actuelle. Il répondait aux valeurs de la haute bourgeoisie de l’époque, quand la patience et la passivité étaient alors les plus grandes qualités attendues d’une femme, qui passaient du joug paternel au carcan du mariage…après 100 ans de sommeil imposé par une méchante fée !

Nous sommes aujourd’hui en 2020, et ce diktat m’est à présent insupportable ! Et pour cause, Mai 68 et un vent de liberté des femmes a soufflé…et la tempête #me too a effacé les derniers vestiges de la domination masculine.

Il est inconcevable de continuer à véhiculer ces valeurs d’attente et de soumission, comme suggéré par mon comportement dans le conte de la Belle au bois dormant (que Perrault a remanié autour de 1697). Et encore, je ne me plains pas, la version originale était bien pire (« Soleil, Lune et Thalie »), dans lequel le Prince me violait pendant mon siècle d’endormissement …! Si, si, c'est vrai, je n'invente rien et je vous invite à découvrir le conte à son origine.

A l’heure où la question du consentement se pose (depuis quelques mois seulement), il me paraît urgent de réécrire mon histoire …afin que toutes les princesses qui sommeillent en chaque fillette, aient aujourd’hui conscience qu’elles ont le choix de leur destin ! Et que tous les Princes charmants soient convaincus qu’ils ne soient plus les seuls à pouvoir exprimer leur choix …et c’est seulement ainsi que pourront s’écrire les plus beaux contes, dans les livres d’enfants et dans nos vies 😊

En attendant la réécriture du conte, j’ai décidé de ne plus dormir pour vivre pleinement ma vie de femme et rattraper ce siècle de sommeil!

Ziza

mercredi 10 juin 2020

Scène de crime ...



A 8H00 on retrouve le corps de Madame Blanche dans la bibliothèque, tuée d’un coup de couteau …
 

Appelé sur les lieux ... le lieutenant Piron, 35 ans, blouson fatigué et barbe soigneusement négligée prend les choses en main : enfin, c'est vite dit. Mme Blanche oeuvre ici comme bibliothécaire deuxième échelon. C'est (ou plutôt c'était) une femme qui, au travail comme chez elle, soignait ses tenues : cardigan bleu pâle, chemisier et robe noires, chaussures fines. Son visage, bien maquillé porte encore la trace d'une sorte de surprise qui l'a saisie en sentant la mort arriver.

Piron grogne : - Alors,  qui a découvert le corps ?

  • C'est moi ... indique Mme Glandier, la chef. Elle a l'air tendu, des cheveux teints en roux et un look de sportive : de fait, on apprendra qu'elle court deux fois par semaine au bois et qu'elle a déjà gagné plusieurs marathons. La bibliothèque – municipale – se trouve dans une rue passante, tout près de la mairie. Mme Blanche arrive en général la première. C'est elle "qui ouvre", comme on dit. Elle arrive tôt pour procéder à des rangements, classements ou autres. La chef se pointe vers 9h. Les autres employés, Mme Donat et un stagiaire du nom de Serge Barrot, c'est plutôt 10 h voire 10h30, Mme Glandier n'étant pas trop exigeante, du fait que la bibliothèque n'ouvre qu'à 11 heures. Et ferme à 17 heures. Nous sommes dans une petite ville, après tout.

  • Connaissiez-vous des ... ennemis à Mme Blanche, demande Piron qui a lu et relu ses classiques.

  • Non, affirme la chef. C'était une femme divorcée. Une vie calme, donc, enfin je suppose ... avec des amis et amies. Elle avait encore sa vieille mère qui vit à 10 kilomètres, dans une rrésidence pour ...

  • Ca va, ca va, coupe le policier. Il se gratte le crâne en suivant, par la fenêtre, le chargement du corps dans le fourgon ad hoc.

  • Piron reprend : - Vous êtes donc arrivée bien plus tôt que prévu ?

  • Un hasard, plaide Mme Glandier, je fais de l'insomnie ... et plutôt que de tourner et virer dans mon lit, je me suis habillée et je suis venue. Mais Mme Blanche, elle, était là ... bien plus tôt. Ce n'est pas normal. 

  • Si ça se trouve, souffla le stagiaire, elle fait AUSSI de l'insomnie ?

  • Pourquoi pas ? Piron décide d'isoler ces gens : il colle la chef dans son bureau, le stagiaire à la réserve et se concentre sur Mme Donat, prototype de la quinqua mariée, avec de grands enfants déjà partis du nid : elle découpe les articles sur les nouveaux romans qui paraissent et les colle sur un panneau, pour "donner des idées". Elle est lunetteuse et résignée, bibliothécaire depuis, pfffff ! Elle ne compte plus. Piron a repéré un détail troublant : elle paraît chausser du 43. Y aurait-il anguille sous roche ? Est-ce que ce ne serait pas ... un homme, ayant quitté le domicile conjugal et trouvé le calme en se travestissant ? Mme Blanche pourrait bien être l'ex'. Percé à jour, Donat panique. Mme Blanche lui a donné rendez-vous à la bibliothèque. Pour parler. Une scène s'en est suivie, avec le coup de couteau dans le ventre qui fermerait une bonne fois le dossier. Et la chef ... la tonique Mme Glandier ? Une relation amoureuse aurait pu exister entre les deux femmes, oui, oui oui ! Ca dure deux mois, six mois... et puis Mme Blanche se lasse : l'amour à la hussarde, les coups de rouge sur le zinc et les footings matinaux dans la boue, elle en a assez. Comme de l'odeur du cigare que la chef fume, après l'amour. Les deux femmes se voient ce matin-là. Mme Glandier, pressentant le pire, a préparé un argument ... pointu. Ca dégénère et c'est la fin de Mme Blanche qui, de toute façon, avait déjà jeté son dévolu sur l'épouse de l'adjoint au maire, une gaillarde, paraît-il.Et Serge, le brave stagiaire ? Ce ne sont pas les mobiles qui manquent !Leur relation a tourné court. Ou plutôt ... lui aurait bien aimé se dépuceler avec Mme Blanche : elle a vite mis le hola, mais Serge est têtu. Il insiste, menaçant de faire courir des bruits sur elle, qu'elle vole des livres, par exemple ou consulte des sites interdits. Mme Blanche, à bout, lui a donné rendez-vous à 7h45, sur leur lieu de travail. Se débattant face aux assauts du stagiaire, la malheureuse a tâtonné sur la table en quête d'une arme. Serge a vu le coupe-papier plus vite et s'en est emparé pour la réduire au silence une fois pour toutes. Avec une pensée du genre : Puisque je ne l'ai pas ... personne ne l'aura !

  • Oui ? Mme Donat s'étonne. Elle s'attendait à une enquête en règle, des questions et voilà que Piron la fixe de ses yeux à la fois globuleux et pensifs.

  • D'abord ... première question. Qui ...A ce moment, le portable du lieutenant sonne :

  • Oui ? C'est  un collègue. Il appelle du commissariat : 

  • L'enquête est close, on tient le type !

  • Le type ?

  • Oui, il est venu se dénoncer lui-même. C'est Riri ... tu sais bien, le SDF. Tôt ce matin, après une nuit bien arrosée, il zonait du côté de la bibli. Il a vu une femme. Dans son délire, il l'a prise pour la sienne qui l'a quitté il y a 5 ans. D'où, hop ! Coup de couteau. La pauvre victime ...

  • Mme Blanche ...

  • Oui. Donc elle a juste eu le temps d'ouvrir la bibliothèque, de s'y enfermer ... pour agoniser, au final, sur la chaise où on l'a trouvée.

  • Tu m'en diras tant !

  • Je suppose que, dans ta petite tête, tu étais déjà en train d'échafauder des kyrielles d'hypothèses ...

  • Moi, dit Piron, tu rigoles ! Je n'ai AUCUNE imagination ! 


Gérard


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Saleté de Madame Blanche

Depuis des mois l’inspiration lui manque.

Comme une âme, s’il en possède encore une, comme une âme en peine disais-je, il erre dans la maison, dans le jardin, dans la ville sans rien voir.

Plus de curiosité, le regard sur les choses et les gens reste en surface, aucune sensation, aucun sentiment ne lui parvient, il reste hermétique à ce qu’il entoure.

Il respire, marche, mange, boit, parle sans être là… Si au moins il se sentait ailleurs… mais rien.

Ce corps déambule, il le regarde bouger, c’est lui paraît-il…

Il ne l’aime pas ce corps, dégingandé, trop grand, trop fin. Un sourire figé. Celui qu’il utilise lors des dédicaces, charmeur auprès des femmes et des hommes ; des clients, seulement des clients.

Au début de son succès il a adoré ces regards partagés, complices dans leur plaisir commun. L’histoire écrite appréciée par ce lecteur, là, devant lui, de fait l’écrivain et le lecteur s’aimaient déjà, communiaient par un sourire complice. Que de doux frissons alors…

Il inspecte ces souvenirs sans mélancolie, sans joie, sans réelle conscience d’avoir été cette personne heureuse.

Pierre, oui il s’approprie totalement son prénom, il est pierre. Une pierre lisse, les mots, les caresses, la pluie, la tristesse, la beauté glissent sur lui, l’érodent doucement.

Il se dirige vers la bibliothèque, prend le coupe-papier et poignarde la feuille désespérément blanche, «Saleté de Madame Blanche, tu ne me provoqueras plus».

Patricia

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Sa dernière lecture


C'est à 8 heures du soir qu'on retrouva Madame Blanche dans la bibliothèque. Elle était assise dans un fauteuil crapaud, mais elle qui avait été une grande lectrice ne lisait plus, même si un mince volume se trouvait encore sur ses genoux, apparemment retenu par les plis de sa robe. La femme enjouée et accueillante, qui les avait tous invités pour le week-end, était morte. Par la faute d'un couteau de cuisine que quelqu'un avait planté dans son ventre. 

Son mari, Francis, se rua sur son portable, pour appeler la police - C'est quel numéro, déjà ? - tandis que les autres restaient les bras ballants, ne sachant que dire ou faire. Retourner dans le hall, sortir dans le jardin, tout mouvement paraissait interdit, en tout cas déconseillé puisque susceptible d'être mal interprété, plus tard. 

Ce plus tard, c'était le moment, fastidieux, de l'enquête. Deux policiers, des inspecteurs ou adjoints, on n'avait pas bien compris quand ils s'étaient présentés, en quelques mots - à la façon de professionnels ayant hâte de se mettre au travail. 

Tout avait l'air très simple. Ou très compliqué, selon le point de vue d'où on se plaçait. Aucun des invités ne se rappelait avoir franchi la porte de la bibliothèque. Renaud, la quarantaine sportive et le sourire facile, résuma ce qui pouvait être le sentiment général : « Eh... ! On est en week-end, on ne va pas se précipiter dans les bouquins ! » 

Le plus âgé des policiers remarqua que Madame Michaud, la cuisinière mais aussi bien jardinière, et intendante, et à l'occasion secrétaire de Francis, manifestait une sorte d'hésitation. Il la pressa, peut-être avait-elle quelque chose d'autre à dire ? 

Elle se troubla, Après une courte et intense réflexion, elle lâcha, d'une voix étouffée : 

- Il y a un quart d'heure, j'ai aperçu... Francis qui se faufilait hors de cette pièce !

Les deux policiers de regardèrent, surpris d'être, pour ainsi dire, déjà au bout de leurs peines. La femme ajouta, brusquement suppliante : 

- S'il vous plaît, ne lui dites pas que c'est moi qui l'ai... dénoncé !

- Ce ne sera sans doute pas possible, Madame, répliqua, sans brutalité, le plus jeune.

Ils lui tournèrent le dos et se mirent en quête du mari. 

Celui-ci avoua, assez rapidement - comme si, au fond de lui-même, il ne s'était pas attendu à s'en sortir comme cela..                                                                   - Je ne sais pas ce qui m'a pris, confia-t-il à ceux qui l'interrogeaient. Elle s'était aperçue que je la trompais... Ce n'était pas la première fois, pourtant, ni la première fois qu'elle le savait - mais là, elle l'a particulièrement mal pris... Peut-être parce que c'était avec Régine, je veux dire Madame Michaud, ma secrétaire, oui ! 

Il soupira :                                                                                                            - Vous savez, je ne travaille pas, enfin, je ne gagne pas ma vie, quoi ! C'est ma femme qui subvient, et là elle était tellement furieuse, elle m'a prévenu qu'elle allait me couper les vivres, et demander le divorce ! Alors, alors, j'ai vu rouge, qu'est-ce que vous voulez ! 

Alain


jeudi 28 mai 2020

Les casquettes sur le fauteuil...


Proposition : se laisser inspirer par la photo pour écrire ...

C'est dans l'orage qu'on connaît le pilote (Sénèque) 

Cette pensée, Nadine, soixante-huit ans, l'avait légèrement détournée. Chez elle, dans son petit deux-pièces, un rez-de-chaussée donnant sur une rue de Brest, elle avait écrit en gros au-dessus de la cheminée : « C'est dans le lit qu'on connaît le pilote." »

Et elle guettait donc, fenêtre ouverte, le passage des commandants de bord du port voisin. Ils passaient immanquablement devant chez elle pour rejoindre la gare toute proche ou une station de taxi. Il y en avait des petits, des gros, des jeunes à boutons, des quadras au regard assuré, aussi : c'est ceux-là que Nadine préférait. Leur demander un renseignement était facile et les attirer chez elle sous un prétexte quelconque, du gâteau. Justement, elle en avait préparé et le leur offrait, en même temps qu'une tasse de café. Là, elle minaudait :

  • Mmmmh, il fait chaud, non ? Vous devriez vous mettre à l'aise, enlever cette veste d'uniforme ...ou l'ouvrir, déjà ? Et cette casquette ! Non, mais, on se découvre devant une dame. 

  • Vous croyez ? 

  • Alleeeez, insistait Nadine, mutine.

Et l'homme obtempéraient. Assis côte à côte sur le canapé, un canapé vraiment étroit,  ils entamaient la conversation et Nadine n'était pas avare de questions concernant les bateaux, les escales, et les pays qu'ils avaient pu découvrir. 

La suite ? Eh bien la suite leur appartient, mais ces soirs-là Nadine, crevée, se couchait juste après le journal de vingt heures.

Le lendemain matin, les yeux brillants, elle ouvrait, le placard où elle rangeait leurs casquettes, ces couvre-chefs qu'elle persistait à ne pas retrouver au moment de leur départ. Il s'y ajoutait même des bérets de marin, car elle avait commencé petit.

Certains auraient appelé ça des trophées. Pour Nadine, c'était tout au plus des souvenirs. Mais c'est vrai qu'elle en avait une sacrée collection ! 

Gérard

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Juste avant le grand Bal


Christiane entrait dans le vestibule,  quand elle remarqua, empilés de façon à dire vrai un peu désordonnée sur un fauteuil Louis XVI, des képis d'officiers de marine. Peut-être, d'ailleurs, le terme exact n'était-il pas képis, mais qu'importe ! Au sol, elle aperçut, jetés aussi négligemment, des bonnets de matelots, ornés de jolis pompons rouges.

Elle hésitait avant de franchir la porte, encore close. Là, c'était la salle de bal, le lieu magique où tout allait se dérouler. Qu'est-ce que c'était, déjà ? Le bal de l'Empereur, toilettes éblouissantes et brillants uniformes, sous les lustres dont la lumière avait connu ce type d'événements depuis plusieurs siècles ? Le bal de l'Ecole navale, plutôt - car elle ne savait plus trop si la Royale participait au bal de l'Empereur... La Cavalerie, oui, bien entendu. L'Artillerie, sans doute. Mais la Marine... ?

Il allait en tout cas se dérouler un événement prestigieux, glorieux, la sorte d'apothéose qu'une jeune fille, pour peu qu'elle soit bien née (et c'était le cas de Christiane) attend, espère, plusieurs années durant. Auquel elle se prépare, qu'elle anticipe, qu'elle répète au besoin, qu'elle vit plusieurs fois dans son imagination avant de le connaître enfin pour de bon, dans sa vie réelle. Et celle-ci en sera marquée à jamais... !   

De l'autre côté de la porte, de belles dames en robes à l'ancienne consultaient leur carnet de bal, tout en enrageant secrètement à la pensée que telle de leurs voisines paraisse plus belle qu'elles. De jeunes sous-officiers plaisantaient pour cacher leur nervosité. Déjà, on entendait l'orchestre qui s'accordait. Christiane sentait son cœur qui déjà battait plus fort. Le bal, la musique, les uniformes...


Elle soupira. Se retournant, elle appela l'homme qu'elle avait aperçu en arrivant : 

- Monsieur, s'il vous plaît ? - Combien pour ceci... Les casquettes ?

- Je vous laisse le tout pour 25 euros, fit le marchand, avec un léger haussement d'épaules. Ça m'encombre, je n'ai déjà pas trop de place... !


Alain


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Casquettes et bachis vides... de sens


Le COVIDOIE a sévi en 2058. 

Vous vous demandez pourquoi ce nom, tout simplement parce qu’il viendrait cette fois-ci des oies qui se sont multipliées en Europe depuis une trentaine d’années. 

Pas sauvages du tout les oies, donc nous les mangeons.


Les confinements successifs avec parcs fermés au public, public lui-même cloîtré, et le réchauffement climatique aidant,  les animaux migrateurs n’ont plus migré, les migrants des pays du Sud de l’Europe et de l’Afrique se sont installés au nord.


Même phénomène pour l’Amérique dont les murs érigés au début du 21ème siècle ont été détruits, laissant libre le passage à tous les affamés des régions dévastées par la sécheresse.

La politique agricole dévastatrice menée au Brésil durant une quarantaine d’années a ravagé la forêt amazonienne.


La suite logique des confinements successifs est le ralentissement de la production en tout genre, en conséquence, les pilules contraceptives féminines et masculines, ainsi que les préservatifs ont cruellement manqué.

La population n’a pour autant pas retenu ses pulsions, le nombre des naissances a quadruplé.


Plus de place. Aujourd’hui nous vivons dans une promiscuité étouffante.


Une solution vient d’être proposée, la réduction de la taille moyenne de l’humain. D’un mètre soixante-quinze, il passerait à quatre-vingt centimètres. Testé sur différents animaux, le protocole semble au point.


Les états ont décidé de l’expérimenter sur l’homme, la marine nationale a été choisie pour initialiser cet essai. 

Une vingtaine de capitaines et matelots se sont rendus à l’hôpital Bichat cette semaine où va leur être administrée la molécule censée sauver la planète.


Désabusés d’avoir été choisis, ils avaient jeté leurs coiffes, casquettes et bachis, dans le bureau de l’amiral.


Patricia

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Les casquettes …

Jeanne vieillit inéluctablement et elle sent ses forces la quitter, elle qui était « une force de la nature » comme on dit ! Elle pense qu’elle ne fêtera pas Noël cette année (on est aux environs de Pâques), alors elle se fixe un dernier objectif avant de quitter ce monde :  vider sa maison pour éviter ce pénible labeur à ses enfants à sa disparition.

C’est ainsi qu’elle s’attelle à cette lourde tâche, seule. Elle sait que c’est un travail colossal, mais elle veut partir et que tout soit réglé avant …elle trie, range et jette depuis des semaines quand elle tombe sur une ancienne boite de métal piquée par le temps, oubliée dans l’armoire « de l’étage des enfants » (la fratrie s’étant agrandie au fil des années -on parle d’une époque où les naissances n’étaient pas contrôlées-, les combles sous les toits étaient devenus des chambres multiples pour accueillir les nombreux enfants, au nombre de 8 !).

Elle feuillette distraitement les vieilles photos qui s’y trouvent, et croise le regard et le sourire figés de chacun de ses enfants, à des âges différents. Elle y retrouve également des clichés plus anciens, avant d’être mariée…elle se replonge avec nostalgie dans ces années douces et insouciantes…

Son cœur s’arrête soudain de battre quand elle tombe sur cette photo, représentant une pile de casquettes de la Marine navale déposées négligemment sur un fauteuil crapaud recouvert de toile dorée. C’était la grande mode dans les familles bourgeoises de l’époque !

Tout lui revient à l’esprit en un instant ! L’arrivée joyeuse de ces jeunes marins venus fêter les 20 ans de leur camarade, Louis (son frère). A peine arrivés, ils ont jeté leurs casquettes sur ce fauteuil pour être à leur aise. Parmi eux, Jean, le meilleur ami de Louis depuis qu’ils étaient petits. Et Jeanne, secrètement amoureuse de ce beau marin au regard vert, qui ne voyait en elle qu’une gamine, alors qu’elle avait à peine trois ans de moins que lui ! A croire qu’il ne l’avait pas vue devenir une jolie jeune fille, alors que tous les autres marins lui faisaient des œillades, dans le dos de ses parents bien sûr ! C’est sûr, aujourd’hui, elle est lui déclare sa flamme (et au diable la convention :elle se fiche bien du « quand dira-t-on ! ») car dès mardi, la troupe de marins embarque pour une contrée lointaine, et Dieu sait quand elle le reverra !

La soirée passe, et elle n’a pas encore trouvé ni l’occasion, ni le courage d’aller lui parler, quand enfin, elle puise au fond d’elle l’énergie nécessaire pour y aller …c’est à ce moment-là qu’une main saisit son avant-bras, et l’attire au milieu du salon transformé pour l’occasion en piste de danse. Une valse, puis deux, puis trois …la tête lui tourne. Elle danse à perdre haleine dans les bras de son danseur qui ne semble pas prêt à la lâcher. Elle ne sait plus très bien où elle en est car la musique et la danse l’ont enivrée !

La soirée touche à sa fin. Tous les regards sont tournés vers eux. Ce sont les derniers sur la piste. Jean a disparu.

C’est ainsi que l’histoire avec Auguste a commencé …

Elle n’a su que des années plus tard, à la naissance de son 1er enfant, que Jean avait également le béguin pour elle, selon les aveux de son frère, mais qu’il n’avait jamais osé le lui dire. Il comptait sur la fête de l’anniversaire de Louis pour demander ce jour-là sa main à ses parents…

Jeanne referme la boîte avec une vive émotion qui lui déchire le cœur.

ziza

vendredi 22 mai 2020

Deux oiseaux bavardent dans un lilas en fleurs ...




PIAPIA – Pioupiou, Pioupiou !

PIOUPIOU – Piapia !

PIAPIA – Pioupiou !! T'es sourd ou quoi ? 

PIOUPIOU – Ah ... tu m'appelles ! (il volète jusqu'à lui) Je croyais que tu chantais les joies du printemps retrouvé !

PIAPIA – Tu te fous de moi ? Chaque automne on se donne rendez-vous au lilas du père Morin ! C'est les premiers jours de mai, on y est. Enfin, j'y suis !

PIOUPIOU (timidement) – Et ... Ca va, toi ?

PIAPIA – Bof ! Migrer, migrer ... c'est bien beau au début, mais c'est plus de mon âge !  J'ai dû me luxer une aile en survolant l'Espagne ! Ah ... j'en ai bavé pour revenir ... j'ai failli tout laisser tomber et jouer les Saint-Ex' au-dessus de la Méditerranée.

PIOUPIOU – Les Saint-Ex ' ? C'est quoi, ça, comme oiseau ?

PIAPIA – Un oiseau en fer blanc et le type, là ... l'aviateur, il a piqué du nez !

PIOUPIOU – Du bec ?

PIAPIA – Non ... du nez dans la mer. Trop de nuages, sans doute. Moralité : dessine-moi un mouton !

PIOUPIOU – Y'a des moments, t'es difficile à suivre !

PIAPIA – Je me comprends. Ecoute  ... (il soupire) le mieux, c'est peut-être d'aller prendre un ver ensemble ... pour fêter l'amitié ! Et puis chacun rentre chez soi, dans son nid.

PIOUPIOU – Oui, d'accord !

PIAPIA – Enfin ... toi ! Moi, j'en ai plus. Je suis devenu SNF ... Sans Nid Fixe !

PIOUPIOU – Les coucous ?

PIAPIA – Eh oui, comme toujours ! Tu pars six mois et quand tu reviens ... paf ! Des squatteurs ! (ils se regardent)

PIOUPIOU – Écoute ... c'est pas bien grand, chez nous, mais on se tassera pour te faire une petite place !

PIAPIA - ... (trop ému, il ne pépie rien)

PIOUPIOU – On y va ?

(Et les deux oiseaux s'éloignent à tire d'aile)


Gérard

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Les humains sont de retour

(Deux oiseaux bavardent dans un lilas en fleurs)


- Ah ! Ça y est, les humains sont de retour !

- C'est le printemps, c'est cela que ça veut dire ?

- Non, ce n'est pas une question de saison, c'est exceptionnel : cette année, il s'est passé quelque chose, je ne sais pas quoi, en tout cas on ne les voyait plus !

- Oui, d'ailleurs c'était bien : on respirait mieux... ça, ils ne nous manquaient pas !

- Écoute, parlons d'autre chose... Moi, j'adore le lilas, toutes ces petites fleurs parfumées, qu'est-ce que c'est bon !

- Mais je croyais que c'était violet, le lilas ? - Oui, mauve, si tu veux... Non ?  

- Eh non, il y en a du blanc, aussi, la preuve... Et moi, je trouve ça magnifique aussi ! - D'ailleurs, ça va très bien avec la couleur de tes plumes... !


- Oui ? Merci... ! Mais dis donc, je repense à autre chose : les chasseurs vont revenir aussi, si les humains sont de nouveau là... Il va falloir qu'on soit sur nos gardes, alors, sans arrêt... !

- Ça... ! Effectivement, ils vont reprendre ce qu'ils appellent leur « art de vivre », leurs habitudes, bonnes ou mauvaises... - En même temps, nous, on est relativement tranquilles, on est trop petits. Comme ils disent « Il n'y a pas assez à manger ! » et comme ils disent aussi, « Ça ne vaut pas le coup ! »


Alain


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 Deux oiseaux bavardent dans un lilas en fleurs ...


Oh la la…qu’est-ce-ce que je suis heureux d’être un volatile par les temps qui courent !

Tu m’étonnes, moi aussi !

Avec cette saloperie de Covid-19, tous les humains sur cette terre sont flippés d’attraper ce satané virus et du coup, ils sont confinés ! Remarque, ils voient comme ça ce que c’est d’être enfermés…ça les fera peut-être réfléchir avant de nous mettre en cage, à l’avenir …

Ca tu peux le dire ! Non seulement on est épargné, mais en plus, on profite pleinement de ce magnifique printemps 2020 pendant qu’ils sont dans leur cage dorée, leur maison !

C’est le paradis pour nous depuis la mi-mars : des forêts désertées, des parcs fermés, des jardins oubliés …bref, toute la nature s’offre à nous. C’est le bonheur absolu ! On se sent (presque) seul au monde, que c’est délicieux ! Même depuis la branche de notre lilas en fleurs situé devant cette maisonnette bleue de la villa Mouzaïa, personne pour nous déranger en collant son nez pour se remplir les poumons de ce parfum enivrant.

Savourons ces instants rares, car mon petit ergot me dit que ça ne pas durer encore longtemps cette histoire car le déconfinement est annoncé pour le 11 mai !Et connaissant nos amis les parisiens, ça risque bien de déconfiner plus que de raison !

Alors « carpe diem » …et chantons à fond !

Et c’est ainsi que les chants des moineaux reprirent de plus belle pour le plus grand plaisir des humains derrière leurs fenêtres (la famille Martin au grand complet, pour ne pas les nommer), qui retrouvaient le goût des petits bonheurs simples en cette période particulière …

Ziza