jeudi 28 mai 2020

Les casquettes sur le fauteuil...


Proposition : se laisser inspirer par la photo pour écrire ...

C'est dans l'orage qu'on connaît le pilote (Sénèque) 

Cette pensée, Nadine, soixante-huit ans, l'avait légèrement détournée. Chez elle, dans son petit deux-pièces, un rez-de-chaussée donnant sur une rue de Brest, elle avait écrit en gros au-dessus de la cheminée : « C'est dans le lit qu'on connaît le pilote." »

Et elle guettait donc, fenêtre ouverte, le passage des commandants de bord du port voisin. Ils passaient immanquablement devant chez elle pour rejoindre la gare toute proche ou une station de taxi. Il y en avait des petits, des gros, des jeunes à boutons, des quadras au regard assuré, aussi : c'est ceux-là que Nadine préférait. Leur demander un renseignement était facile et les attirer chez elle sous un prétexte quelconque, du gâteau. Justement, elle en avait préparé et le leur offrait, en même temps qu'une tasse de café. Là, elle minaudait :

  • Mmmmh, il fait chaud, non ? Vous devriez vous mettre à l'aise, enlever cette veste d'uniforme ...ou l'ouvrir, déjà ? Et cette casquette ! Non, mais, on se découvre devant une dame. 

  • Vous croyez ? 

  • Alleeeez, insistait Nadine, mutine.

Et l'homme obtempéraient. Assis côte à côte sur le canapé, un canapé vraiment étroit,  ils entamaient la conversation et Nadine n'était pas avare de questions concernant les bateaux, les escales, et les pays qu'ils avaient pu découvrir. 

La suite ? Eh bien la suite leur appartient, mais ces soirs-là Nadine, crevée, se couchait juste après le journal de vingt heures.

Le lendemain matin, les yeux brillants, elle ouvrait, le placard où elle rangeait leurs casquettes, ces couvre-chefs qu'elle persistait à ne pas retrouver au moment de leur départ. Il s'y ajoutait même des bérets de marin, car elle avait commencé petit.

Certains auraient appelé ça des trophées. Pour Nadine, c'était tout au plus des souvenirs. Mais c'est vrai qu'elle en avait une sacrée collection ! 

Gérard

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Juste avant le grand Bal


Christiane entrait dans le vestibule,  quand elle remarqua, empilés de façon à dire vrai un peu désordonnée sur un fauteuil Louis XVI, des képis d'officiers de marine. Peut-être, d'ailleurs, le terme exact n'était-il pas képis, mais qu'importe ! Au sol, elle aperçut, jetés aussi négligemment, des bonnets de matelots, ornés de jolis pompons rouges.

Elle hésitait avant de franchir la porte, encore close. Là, c'était la salle de bal, le lieu magique où tout allait se dérouler. Qu'est-ce que c'était, déjà ? Le bal de l'Empereur, toilettes éblouissantes et brillants uniformes, sous les lustres dont la lumière avait connu ce type d'événements depuis plusieurs siècles ? Le bal de l'Ecole navale, plutôt - car elle ne savait plus trop si la Royale participait au bal de l'Empereur... La Cavalerie, oui, bien entendu. L'Artillerie, sans doute. Mais la Marine... ?

Il allait en tout cas se dérouler un événement prestigieux, glorieux, la sorte d'apothéose qu'une jeune fille, pour peu qu'elle soit bien née (et c'était le cas de Christiane) attend, espère, plusieurs années durant. Auquel elle se prépare, qu'elle anticipe, qu'elle répète au besoin, qu'elle vit plusieurs fois dans son imagination avant de le connaître enfin pour de bon, dans sa vie réelle. Et celle-ci en sera marquée à jamais... !   

De l'autre côté de la porte, de belles dames en robes à l'ancienne consultaient leur carnet de bal, tout en enrageant secrètement à la pensée que telle de leurs voisines paraisse plus belle qu'elles. De jeunes sous-officiers plaisantaient pour cacher leur nervosité. Déjà, on entendait l'orchestre qui s'accordait. Christiane sentait son cœur qui déjà battait plus fort. Le bal, la musique, les uniformes...


Elle soupira. Se retournant, elle appela l'homme qu'elle avait aperçu en arrivant : 

- Monsieur, s'il vous plaît ? - Combien pour ceci... Les casquettes ?

- Je vous laisse le tout pour 25 euros, fit le marchand, avec un léger haussement d'épaules. Ça m'encombre, je n'ai déjà pas trop de place... !


Alain


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Casquettes et bachis vides... de sens


Le COVIDOIE a sévi en 2058. 

Vous vous demandez pourquoi ce nom, tout simplement parce qu’il viendrait cette fois-ci des oies qui se sont multipliées en Europe depuis une trentaine d’années. 

Pas sauvages du tout les oies, donc nous les mangeons.


Les confinements successifs avec parcs fermés au public, public lui-même cloîtré, et le réchauffement climatique aidant,  les animaux migrateurs n’ont plus migré, les migrants des pays du Sud de l’Europe et de l’Afrique se sont installés au nord.


Même phénomène pour l’Amérique dont les murs érigés au début du 21ème siècle ont été détruits, laissant libre le passage à tous les affamés des régions dévastées par la sécheresse.

La politique agricole dévastatrice menée au Brésil durant une quarantaine d’années a ravagé la forêt amazonienne.


La suite logique des confinements successifs est le ralentissement de la production en tout genre, en conséquence, les pilules contraceptives féminines et masculines, ainsi que les préservatifs ont cruellement manqué.

La population n’a pour autant pas retenu ses pulsions, le nombre des naissances a quadruplé.


Plus de place. Aujourd’hui nous vivons dans une promiscuité étouffante.


Une solution vient d’être proposée, la réduction de la taille moyenne de l’humain. D’un mètre soixante-quinze, il passerait à quatre-vingt centimètres. Testé sur différents animaux, le protocole semble au point.


Les états ont décidé de l’expérimenter sur l’homme, la marine nationale a été choisie pour initialiser cet essai. 

Une vingtaine de capitaines et matelots se sont rendus à l’hôpital Bichat cette semaine où va leur être administrée la molécule censée sauver la planète.


Désabusés d’avoir été choisis, ils avaient jeté leurs coiffes, casquettes et bachis, dans le bureau de l’amiral.


Patricia

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Les casquettes …

Jeanne vieillit inéluctablement et elle sent ses forces la quitter, elle qui était « une force de la nature » comme on dit ! Elle pense qu’elle ne fêtera pas Noël cette année (on est aux environs de Pâques), alors elle se fixe un dernier objectif avant de quitter ce monde :  vider sa maison pour éviter ce pénible labeur à ses enfants à sa disparition.

C’est ainsi qu’elle s’attelle à cette lourde tâche, seule. Elle sait que c’est un travail colossal, mais elle veut partir et que tout soit réglé avant …elle trie, range et jette depuis des semaines quand elle tombe sur une ancienne boite de métal piquée par le temps, oubliée dans l’armoire « de l’étage des enfants » (la fratrie s’étant agrandie au fil des années -on parle d’une époque où les naissances n’étaient pas contrôlées-, les combles sous les toits étaient devenus des chambres multiples pour accueillir les nombreux enfants, au nombre de 8 !).

Elle feuillette distraitement les vieilles photos qui s’y trouvent, et croise le regard et le sourire figés de chacun de ses enfants, à des âges différents. Elle y retrouve également des clichés plus anciens, avant d’être mariée…elle se replonge avec nostalgie dans ces années douces et insouciantes…

Son cœur s’arrête soudain de battre quand elle tombe sur cette photo, représentant une pile de casquettes de la Marine navale déposées négligemment sur un fauteuil crapaud recouvert de toile dorée. C’était la grande mode dans les familles bourgeoises de l’époque !

Tout lui revient à l’esprit en un instant ! L’arrivée joyeuse de ces jeunes marins venus fêter les 20 ans de leur camarade, Louis (son frère). A peine arrivés, ils ont jeté leurs casquettes sur ce fauteuil pour être à leur aise. Parmi eux, Jean, le meilleur ami de Louis depuis qu’ils étaient petits. Et Jeanne, secrètement amoureuse de ce beau marin au regard vert, qui ne voyait en elle qu’une gamine, alors qu’elle avait à peine trois ans de moins que lui ! A croire qu’il ne l’avait pas vue devenir une jolie jeune fille, alors que tous les autres marins lui faisaient des œillades, dans le dos de ses parents bien sûr ! C’est sûr, aujourd’hui, elle est lui déclare sa flamme (et au diable la convention :elle se fiche bien du « quand dira-t-on ! ») car dès mardi, la troupe de marins embarque pour une contrée lointaine, et Dieu sait quand elle le reverra !

La soirée passe, et elle n’a pas encore trouvé ni l’occasion, ni le courage d’aller lui parler, quand enfin, elle puise au fond d’elle l’énergie nécessaire pour y aller …c’est à ce moment-là qu’une main saisit son avant-bras, et l’attire au milieu du salon transformé pour l’occasion en piste de danse. Une valse, puis deux, puis trois …la tête lui tourne. Elle danse à perdre haleine dans les bras de son danseur qui ne semble pas prêt à la lâcher. Elle ne sait plus très bien où elle en est car la musique et la danse l’ont enivrée !

La soirée touche à sa fin. Tous les regards sont tournés vers eux. Ce sont les derniers sur la piste. Jean a disparu.

C’est ainsi que l’histoire avec Auguste a commencé …

Elle n’a su que des années plus tard, à la naissance de son 1er enfant, que Jean avait également le béguin pour elle, selon les aveux de son frère, mais qu’il n’avait jamais osé le lui dire. Il comptait sur la fête de l’anniversaire de Louis pour demander ce jour-là sa main à ses parents…

Jeanne referme la boîte avec une vive émotion qui lui déchire le cœur.

ziza

vendredi 22 mai 2020

Deux oiseaux bavardent dans un lilas en fleurs ...




PIAPIA – Pioupiou, Pioupiou !

PIOUPIOU – Piapia !

PIAPIA – Pioupiou !! T'es sourd ou quoi ? 

PIOUPIOU – Ah ... tu m'appelles ! (il volète jusqu'à lui) Je croyais que tu chantais les joies du printemps retrouvé !

PIAPIA – Tu te fous de moi ? Chaque automne on se donne rendez-vous au lilas du père Morin ! C'est les premiers jours de mai, on y est. Enfin, j'y suis !

PIOUPIOU (timidement) – Et ... Ca va, toi ?

PIAPIA – Bof ! Migrer, migrer ... c'est bien beau au début, mais c'est plus de mon âge !  J'ai dû me luxer une aile en survolant l'Espagne ! Ah ... j'en ai bavé pour revenir ... j'ai failli tout laisser tomber et jouer les Saint-Ex' au-dessus de la Méditerranée.

PIOUPIOU – Les Saint-Ex ' ? C'est quoi, ça, comme oiseau ?

PIAPIA – Un oiseau en fer blanc et le type, là ... l'aviateur, il a piqué du nez !

PIOUPIOU – Du bec ?

PIAPIA – Non ... du nez dans la mer. Trop de nuages, sans doute. Moralité : dessine-moi un mouton !

PIOUPIOU – Y'a des moments, t'es difficile à suivre !

PIAPIA – Je me comprends. Ecoute  ... (il soupire) le mieux, c'est peut-être d'aller prendre un ver ensemble ... pour fêter l'amitié ! Et puis chacun rentre chez soi, dans son nid.

PIOUPIOU – Oui, d'accord !

PIAPIA – Enfin ... toi ! Moi, j'en ai plus. Je suis devenu SNF ... Sans Nid Fixe !

PIOUPIOU – Les coucous ?

PIAPIA – Eh oui, comme toujours ! Tu pars six mois et quand tu reviens ... paf ! Des squatteurs ! (ils se regardent)

PIOUPIOU – Écoute ... c'est pas bien grand, chez nous, mais on se tassera pour te faire une petite place !

PIAPIA - ... (trop ému, il ne pépie rien)

PIOUPIOU – On y va ?

(Et les deux oiseaux s'éloignent à tire d'aile)


Gérard

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Les humains sont de retour

(Deux oiseaux bavardent dans un lilas en fleurs)


- Ah ! Ça y est, les humains sont de retour !

- C'est le printemps, c'est cela que ça veut dire ?

- Non, ce n'est pas une question de saison, c'est exceptionnel : cette année, il s'est passé quelque chose, je ne sais pas quoi, en tout cas on ne les voyait plus !

- Oui, d'ailleurs c'était bien : on respirait mieux... ça, ils ne nous manquaient pas !

- Écoute, parlons d'autre chose... Moi, j'adore le lilas, toutes ces petites fleurs parfumées, qu'est-ce que c'est bon !

- Mais je croyais que c'était violet, le lilas ? - Oui, mauve, si tu veux... Non ?  

- Eh non, il y en a du blanc, aussi, la preuve... Et moi, je trouve ça magnifique aussi ! - D'ailleurs, ça va très bien avec la couleur de tes plumes... !


- Oui ? Merci... ! Mais dis donc, je repense à autre chose : les chasseurs vont revenir aussi, si les humains sont de nouveau là... Il va falloir qu'on soit sur nos gardes, alors, sans arrêt... !

- Ça... ! Effectivement, ils vont reprendre ce qu'ils appellent leur « art de vivre », leurs habitudes, bonnes ou mauvaises... - En même temps, nous, on est relativement tranquilles, on est trop petits. Comme ils disent « Il n'y a pas assez à manger ! » et comme ils disent aussi, « Ça ne vaut pas le coup ! »


Alain


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 Deux oiseaux bavardent dans un lilas en fleurs ...


Oh la la…qu’est-ce-ce que je suis heureux d’être un volatile par les temps qui courent !

Tu m’étonnes, moi aussi !

Avec cette saloperie de Covid-19, tous les humains sur cette terre sont flippés d’attraper ce satané virus et du coup, ils sont confinés ! Remarque, ils voient comme ça ce que c’est d’être enfermés…ça les fera peut-être réfléchir avant de nous mettre en cage, à l’avenir …

Ca tu peux le dire ! Non seulement on est épargné, mais en plus, on profite pleinement de ce magnifique printemps 2020 pendant qu’ils sont dans leur cage dorée, leur maison !

C’est le paradis pour nous depuis la mi-mars : des forêts désertées, des parcs fermés, des jardins oubliés …bref, toute la nature s’offre à nous. C’est le bonheur absolu ! On se sent (presque) seul au monde, que c’est délicieux ! Même depuis la branche de notre lilas en fleurs situé devant cette maisonnette bleue de la villa Mouzaïa, personne pour nous déranger en collant son nez pour se remplir les poumons de ce parfum enivrant.

Savourons ces instants rares, car mon petit ergot me dit que ça ne pas durer encore longtemps cette histoire car le déconfinement est annoncé pour le 11 mai !Et connaissant nos amis les parisiens, ça risque bien de déconfiner plus que de raison !

Alors « carpe diem » …et chantons à fond !

Et c’est ainsi que les chants des moineaux reprirent de plus belle pour le plus grand plaisir des humains derrière leurs fenêtres (la famille Martin au grand complet, pour ne pas les nommer), qui retrouvaient le goût des petits bonheurs simples en cette période particulière …

Ziza

vendredi 15 mai 2020

Le téléphone sonne ...

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"Le téléphone sonne : qui espériez-vous entendre à l'autre bout du fil ? Qui est la dernière personne à qui vous aimeriez parler  ? La première qui vous vient à l'esprit ? C'est le genre de question que Roy aimait se poser."               

("Des bleus à l'amour" de Hanif KUREISHI)


TA VOIX ...


Le téléphone sonne…


C’est toi ? J’entends ta voix… douce ? Chaude ? Enjôleuse ? Je ne saurai la définir mais c’est celle qui me fait frémir. 

A son écoute des frissons s’immiscent le long de ma colonne, électrisent rapidement ma nuque et mon visage, glace et brûle mon corps, plus rien d’autre n’existe que ta voix.


Au creux de cette voix un corps se dessine, il devient caisse de résonance de mes émotions.


Ce corps je le souhaite, je l’attends, je veux le saisir, le sentir sous mes mains, le deviner sous ma bouche...


Le corps m’échappe, les paroles se suivent loin, loin de moi, se prolongent, ont-elles un sens ? Pas celui que je souhaite, c’est certain…


Je dois répondre « oui bien sûr » ; « je prends note » « nous en parlerons à la prochaine réunion » « pas trop difficile cette nouvelle vie en province ? » « Ah, ah, le bruit des tondeuses remplace celui des voitures ? »


Tu es parti, loin, trop loin… je t’imagine, tu me racontes le jardin, les odeurs des fleurs et de l’herbe coupée, tes enfants … Rien sur ta femme, bien sûr. 

Mais elle existe, tu es restée avec elle, mais c’est moi que tu aimes, bien sûr. 

On en parle plus, 

Tu prétextais «On s’est rencontré trop tard », 

Dommage …. 

Tu me concèdes «aux réunions mensuelles, On se verra, On pourra boire un verre ensemble … après»

«On ...

On ...»

Je voudrais répondre : On ne se serrera plus l’un contre l’autre ?

Dommage, je crois que l’On aimait…


Parles-moi encore. 

Dans ces moments d’échanges de mots simples, inutiles et … essentiels, tu existes POUR MOI SEULE, les senteurs, le soleil chaud, le ciel plus bleu là-bas, je le partage avec toi, nous sommes seuls enfin, racontes encore.


Patricia


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Et si c'était elle ? 


Quand la sonnerie du téléphone troua le silence du début de soirée, Roy commença par regarder la pendulette posée sur le meuble de la télé. Qui cela pouvait-il bien être, à cette heure-ci ? 

La famille et les amis savaient, pertinemment, que c'était le moment où il dînait, et qu'il détestait qu'on le dérange dans cette circonstance qui, sans être sacrée pour lui, revêtait un intérêt qu'il ne dissimulait pas.                       Alors ? Quelque démarchage téléphonique ? Peu probable si tard, les solliciteurs qui d'emblée vous appellent par votre prénom dans l'espoir de vous mettre dans leur poche et qu'ainsi vous allez les écouter, le font plutôt en fin de matinée, avait-il remarqué. 

Donc, quelqu'un d'autre. Priscilla, si ça se trouvait... Il attendit. Après quelques bip, le téléphone se tut. Roy laissa passer quelques minutes, cinq pour être précis. Si c'était elle, elle allait rappeler : c'était un jeu entre eux, repris d'un film d'espionnage qu'ils avaient vu ensemble...

Mais bon, là, ils s'étaient violemment disputés, des propos définitifs avaient échappé à l'un comme à l'autre, et elle avait claqué la porte. Un appel de sa part était très improbable. 


Vingt-heures 37. La sonnerie se fit de nouveau entendre ! Roy bondit et décrocha. C'était elle. Cependant, contrairement à ce qu'il avait vaguement espéré, elle ne regrettait pas, ne téléphonait pas pour s'excuser ou proposer d'oublier l'incident de tout à l'heure. Ni pour écouter Roy tentant de faire les premiers pas vers la réconciliation. Non. D'une voix sèche et sans réplique, elle se bornait à confirmer qu'elle en avait marre, et a annoncé qu'elle passerait à l'appartement demain midi pour prendre ses affaires. S'il pouvait être absent à cette heure-là, cela serait mieux. 


Alain


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Roy déboutonna son haut de pyjama et s'allongea mollement sur son lit. Après une légère hésitation, sa main

rejoignit son torse glabre et il se mit à le caresser distraitement en comptant les sonneries, évidemment

stridentes, du téléphone. Il aimait qu'on s'intéresse à lui et surtout se sentir aimé comme il s'aimait lui-même.

Et si c'était sa tante Nancy, cette fois, qui tentait de le joindre ? Nancy Himes était une vieille fille, mercière tout

là-bas, dans le coin dont il était originaire : il l'imaginait bien, écartant quelques boites de boutons posées sur

une table, calant l'appareil et se concentrant pour composer son numéro. Depuis trois ans qu'il avait quitté le village

pour rejoindre la capitale, Roy avait mené une vie pour le moins "agitée" : il avait eu des amantes ... plus quelques

amants, avait consommé pas mal de substances, dont la plupart étaient illicites, et s'il fricotait ces temps-ci avec

Emilio del Torres (69 ans), cela n'avait rien à voir avec le sexe ou les sentiments : Emilio l'entretenait simplement par

amour de l'art puisque Roy accumulait les scénar' et les projets, dans l'espoir de les voir aboutir un jour. 

Oui, c'était peut-être Emilio ! Pour lui faire encore une scène ! Roy soupira : la veille, au cours d'une soirée où il

flirtait ostensiblement avec Sarah, un mannequin allemand très décolleté, Emilio avait passé une tête ... et plutôt

mal pris l'attitude de son

"protégé".

Et la tante Nancy ? A entendre ces sonneries qui se succédaient, Roy se dit que ça ne devait pas être elle.

Toujours pressée, elle se contentait de deux sonneries, trois au maximum, avant de raccrocher en jérémiant.

Si ce n'était pas Emilio non plus ... ça pouvait être sa vieille copine Victoria, pour lui proposer un tennis. Et il y

avait une chance, infime mais quand même, que ce soit Harry. Ce délicieux  Harry ! 

Dans l'intervalle, Roy s'était redressé et se penchait vers son petit déjeuner, toujours accompagné des

sonneries du téléphone.

Harry ? Roy évoquait ses cheveux mi-longs ... son éternel perfecto et sa modestie jouée qui cachait mal le

prodigieux comédien qu'il pouvait être. Harry et son attitude ambiguë ... mais qui n'est pas ambigu, dans le

spectacle ? Drrrrr ! Roy s'escrima sur le couvercle du pot de confiture de framboise (son régal!). Il réussit à l

'ouvrir et le couvercle, lui échappant, se mit à rouler sur l'épaisse moquette grise. Drrrrrr ! Et voilà Roy à quatre

pattes, en train de courir après son couvercle tandis qu'il entendait toujours, de cela il était certain, les dernières

sonneries du téléphone. Allongé sur la moquette, Roy redressa la tête. A présent, c'était le silence. 

Il réalisa alors que ce n'était pas le portable qui sonnait, mais le fixe. 

Plus difficile, dans ces conditions, de savoir qui voulait lui parler. 

Après tout, si c'était si important que ça ... il (ou elle) rappellerait ! 


Gérard

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Le téléphone sonne

Le téléphone sonne …et c’est à toi que je pense, étrangement, alors que je sais très bien que ce ne peut être toi. Tu as quitté ce monde il y a plus de 11 ans.

Mais en ces temps de confinement, le téléphone a sonné plus que d'habitude …et m’a permis de me rapprocher des personnes qui me sont chères en ces périodes difficiles. Ce nouveau rapport au temps aura permis à chacun de faire le point sur sa vie…et des figures plus ou moins lointaines, auront refait surface. Des amis du lycée, de la fac, des anciens voisins, des collègues que l’ont a quittés depuis longtemps, etc. Bref, ce confinement aura été synonyme de liens réactivés…de faire le tri parmi les gens qui comptent vraiment, ou qui ont beaucoup compté par le passé…cette période particulière aura fait mentir le célèbre proverbe! On peut dire aujourd'hui avec certitude que "Loin des yeux, près du coeur"!

Evidemment, tu ne m’as pas appelée mais j’aurais tellement aimé entendre ta voix. Parler de tout et de rien, de notre quotidien confiné. On ne se serait rien dit d’extraordinaire…juste quelques mots banals, sans grand intérêt. Pas de déclaration…ce n’est pas le genre de la maison ! Mais dans la banalité de certains mots se nichent le petit bonheur…la joie d’un éclat de voix. Une attention. Je ne sais trop. C’est ça, l’amour aussi…on n’a pas besoin de se le déclarer.

Ma chère grand-mère, tu ne m’as jamais autant manqué que ces dernières semaines. J’ai beaucoup pensé à toi…tu as été la grande absente, alors j’ose te l’écrire, je t’aime.

Ziza

mardi 12 mai 2020

Tout est question de point de vue ...

Ecrire un texte sur un tableau que vous aimez selon le point de vue : 
- du peintre 
- du galeriste 
- de l'acheteur 
- de l'expert

J.A. WHISTLER, Nocturn in grey and gold, 1872

J.A. WHISTLER : Oui, je me souviens... j'ai peint cette toile en 1872, à Londres, où je séjournais. Saleté de temps ! De la neige et encore de la neige. Ca m'arrangeait bien, dans un sens, vu mes recherches de l'époque sur la lumière ! C'était un soir, vers 23h, je revenais du pub ... la façade encore allumée, là, vous voyez ? Et j'ai regardé dehors ... J'avais le choix entre cuver les huit bières que j'avais avalées et, la fenêtre ouverte, sortir une toile pour tenter d'immortaliser "l'ambiance" ! Drôle d'ambiance ! Un certain William, je me souviens ... m'avait couru après dans la rue, avec un baratin du genre : "Allez, tu ne vas pas déjà rentrer ! Lâcheur ! " C'est lui qu'on voit, retournant au pub illuminé comme un gâteau d'anniversaire. Il a les mains dans ses poches, à cause du froid. Sacré William ... il est mort, trois mois après d'une cirrhose du foie. Ou d'une fluxion de poitrine, je ne sais plus. 

Enfin, paix à son âme ! 


LE GALERISTE : C'est une toile volée, en fait. Si ! c'est une toile qui a été volée ... puis retrouvée. Elle nous vient d'un musée des States ... puisque le peintre était américain. Vous avez bien sûr reconnu le vieux James Abott Mc Neill Whistler et son boulot pas possible sur les nuances et les teintes. Et ... pardon ? Et la lumière, bien sûr, j'allais le dire ! Pas drôle, au fond, la vie de type ! Non, je ne dirais pas que c'est l'Utrillo des ricains ... mais avouez que, côté paysage,  ça ne respire pas la joie de vivre ! Ce tas de neige ... ces façades ! Et ce flou partout, comme si l'artiste avait mal nettoyé ses lunettes. C'est ? ... C'est fait exprès ! ... Merci, je ne m'en étais pas douté. Quand même, vous direz ce que vous voudrez, mais c'était un fortiche, Whistler ... et sa cote, d'ailleurs, n'arrête pas de monter ... je dis ça, moi, je ne dis rien ! 


UN ACHETEUR : Je tiens à tout prix à l'avoir chez moi, Mr Stone ! Et quand je dis à tout prix ...  ! Oui, je me doute bien que vous n'allez pas me faire de cadeau ! Imaginez-vous que dans le living de ma villa de quatorze pièces, je viens de me faire installer une nouvelle cheminée ... Enfin, ma femme, ma charmante Olga ! C'est elle qui a le dernier mot, chez nous, en ce qui concerne la déco ! C'est elle qui paie, vous me direz ... mais enfin quand même ! 

Bref, elle a choisi une cheminée dans les tons beiges avec un canapé marron et des coussins gris, mais rehaussés de petits liserés blancs et dorés. Et c'est précisément ... mais précisément, il n'y a pas d'autres mots, la toile qui irait divinement avec les couleurs dont je viens de vous parler ! 

Allez, soyez chic, Mr Stone, dites-moi un prix ... et surtout dites-moi que vous êtes vendeur car sinon, mon Olga sera terriblement déçue ... et ce n'est pas ça que vous voulez ... hein ? 


L'EXPERT : Cher monsieur, c'est un faux. Oui, un faux habilement réalisé ... mais un faux. Le faux Whistler ne court pas les rues, il faut bien l'avouer ... mais c'est juste parce que ce peintre n'a pas, comment dire ?  la notoriété qu'il mériterait ! Il doit exister au monde cinq ou six copies de ... Nocturn in grey and gold ...oui, la toile s'appelle comme ça ... et vous en êtes un des heureux propriétaires ! Quoi faire ? Est-ce que je sais, moi ... je ne travaille pas pour le FBI ! Vous pouvez toujours vous retourner contre celui qui vous l'a vendue,  un certain ...  ? Ah, vous ne connaissez même pas son nom !  

Remarquez, le fait que vous l'ayez achetée dans une galerie éphémère ... aurait pu vous mettre la puce à l'oreille ! 

Une galerie éphémère ! Pourquoi pas une vente de garage ? 

J'ai bien peur qu'il ne vous faille dire adieu à vos 138 000 dollars ! Eh oui, mon bon monsieur, dans le marché de l'art, il y a des bonne affaires et des ... pardon ? Ah, là, je vous laisse le choix du mot !


Gérard


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Michael SOWA, Zwei personen in einem Zimmer

Peindre notre époque

Le peintre : 

Herr et Frau Schmidt voulaient leur portrait dans leur salon, eh bien ils n'ont pas été déçus... En fait, ils ont bien aimé, si, si ! En rigolant, Fritz m'a lancé : « Après, vous allez prétendre que c'est la condition humaine du 21ème siècle, on attend de pouvoir y échapper, et je guette l'arrivée du bateau, tandis qu'Angelica est déjà installée dans le canot, avec les vivres, les couvertures et quelques magazines ! » Et sa femme a souligné que le tableau, au mur, pouvait aussi passer pour un rappel de la culture, qui subsiste dans les circonstances les plus inhabituelles, et qui est une sorte de remède, en tout cas d'encouragement, pour nous dire que tout n'est pas perdu, jamais !


Le galeriste : 

Avec cette œuvre, sobrement intitulée Zwei personen in einem Zimmer, qu'on peut traduire approximativement par « Couple dans une chambre », Michael Sowa fait mine de s'essayer à la peinture de genre, alors qu'il s'agit en fait d'une exploration de notre condition, décrite avec l'ironie qui caractérise cet artiste allemand (né en 1945), qui a abordé aussi bien le surréalisme que l'illustration, et souvent représenté des animaux humanisés – ou des humains animalisés ? 


Le critique d'art : 

L'artiste, si l'on ose dire, nous mène ici en bateau, feignant de nous proposer une scène d'intérieur, alors que son propos est bien ailleurs : dans cet extérieur auquel nous n'avons accès que par le truchement d'appareils optiques, sorte de béquilles à l'insuffisance de nos capacités d'observation - une façon de renvoyer le spectateur aux défaillances de sa culture picturale, qui l'empêche à l'évidence de goûter les joies de l'Art ? 


L'acheteur : 

J'aime assez, ce genre de tableau, un peu loufoque, mais en même temps c'est très bien fait, il savait peindre, ce type ! Ah ! C'est un contemporain... ? Il est coté, comme peintre ? - Ah ! Quand même... ! Et celui-là... ? Hmm... Je vais voir, enfin, réfléchir, quoi ! Parce que tout cet orange, ça fait limite... clinquant, quoi ! D'un autre côté, l'atmosphère me plaît beaucoup... Seulement, il y a la taille, aussi, chez moi ce n'est pas si grand que cela... Il fait combien, sans le cadre, je veux dire ? 


Alain

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Wassily KANDINSKY, Color study : Squares with concentric circles - 1913

L’artiste

Je n’en peux plus de voir toujours la même chose en ce moment dans le monde de la peinture ! Les expositions se suivent et se ressemblent toutes ! J’ai l’impression qu’on est à bout de souffle…qu’on arrive à la fin de quelque chose ! Ce nouveau siècle doit marquer le monde de l’Art ou le monde de l'Art doit marquer ce nouveau siècle. Il faut que cela change, il faut de la modernité, je dirais même…une rupture brutale avec tout ce qui a déjà été peint jusqu’à présent ! Cela a bien l’air facile d’un point de vue théorique, mais concrètement, je peins quoi, moi?

Je tourne en rond …à force de vouloir mettre des ronds dans des carrés ! Des ronds dans des carrés ?! Mais oui, c’est cela, je le tiens mon concept pictural : la géométrisation!!!

Le galeriste

Cette toile a été peinte en 1913 par Kandinsky, peintre russe exilé près de Munich en Allemagne, où il vivait avec sa compagne Gabriele Munter (déjà réputée pour ses peintures). C’est durant ces années que son travail a évolué, passant de l’expressionnisme, à ce qu’on allait dénommer ultérieurement, l’art abstrait. Commence alors la période d’une productivité intense qui marque un tournant majeur dans le travail de Kandinsky qui trouve enfin le début de son chemin vers une peinture sans sujet, une peinture abstraite. Le groupe pose les bases d’un nouveau langage pictural : l’art abstrait, qui allait révolutionner tout le monde de l’art !

La période très féconde de Munich-Murnau s’achève brusquement en août 1914. Kandinsky, en tant que Russe, doit quitter l’Allemagne à la déclaration de la guerre. Il part avec Gabriele en Suisse, mais chacun se rend à l’évidence : la guerre va durer longtemps. Ils se séparent en novembre. Les six années passées à Moscou sont peu productives à l’exception d’œuvres graphiques et de quelques grands formats.

L’acheteur

Je ne comprends à l’art, encore moins à la peinture ! Et pourtant, en découvrant cette magnifique fresque réalisée par ma petite dernière à l’école maternelle (en dernière section) avec sa classe, j’ai eu un coup de cœur en la découvrant lors de la kermesse dans le préau en juin dernier !

J’ai complètement craqué pour ces couleurs éclatantes et ses formes géométriques simples ! C’est en discutant avec la maîtresse de Jessica, que j’ai appris que la fresque avait été inspirée par l’œuvre d'un peintre russe : un certain Kandinsky dont je n'avais jamais entendu parlé (je vous l'ai dit, je ne comprends rien à tout ça) !

Et voilà, je suis là aujourd’hui,dans cette célèbre galerie parisienne pour acheter mon coup de cœur ! Le galeriste s'est senti obligé de me raconter la vie de l'artiste à travers sa période "Murnau" mais je dois dire que je m'en moque bien de tout cela, car je vais l'acheter cette peinture, il a pas besoin de me sortir toute sa science! Il faut dire que mes affaires ont bien marché ces dernières années avec les ventes sur internet de mes produits « made in China », alors je m’offre cette toile qui trônera bientôt dans mon salon ! Tout le monde pensera que c’est Jessica qui l’aura peinte : je serai le seul à connaître ce petit secret… Je vais d’ailleurs aller chez le notaire pour établir un testament afin d’assurer un bel avenir à ma tribu ! On ne sait jamais, quelqu’un pourrait avoir la mauvaise idée de jeter cette peinture s’il m’arrivait quelque chose!

Le critique d’art

La quadrature du cercle est un problème classique de mathématiques apparaissant en géométrie. Il fait partie des trois grands problèmes de l'Antiquité, avec la trisection de l'angle et la duplication du cube. Le problème consiste à construire un carré de même aire qu'un disque ... aux prises avec les outils dont il dispose pour « mettre un cercle au carré ». Cette problématique qui a traversé les siècles, a été le point de départ de toute la réflexion qui a nourrit le travail de Kandinsky et il l’a transformée en langage pictural universel à travers cette œuvre graphique aux aplats de couleurs s si singuliers . C’est ainsi que cet artiste majeur du XX° siècle est devenu le fondateur de l’art abstrait grâce à sa théorisation de l’art.

Ziza