dimanche 28 janvier 2018

A partir d'un fait divers écrit par Fénéon


Même exercice (commun) avec la nouvelle : « Chez un cabaretier de Versailles, l’ex-ecclésiastique Rouslot trouva dans sa onzième absinthe, la crise de délirium tremens qui l’emporta. »
Temps d'écriture : 15 minutes
La maigre Adeline s’essuya les yeux : ça recommençait. Après ces deux hommes qui s’étaient entretués pour elle, voilà que son dernier amant, Jeannot Rouslot venait de trépasser. Le patron du cabaret « Au poisson couronné » (Versailles), était précis : Rouslot était arrivé vers vingt et une heures, soucieux. Il avait commandé une absinthe, puis une autre. De temps en temps, il s’essuyait les yeux, soupirait. A la neuvième absinthe, le patron avait essayé de raisonner Rouslot. L’avait saisi par le bras. Peine perdue, l’ex-ecclésiastique s’était débattu. Il avait marmonné dans sa barbe et se ruant sur les deux derniers verres qu’il avait commandés. Il les avait avalés, d’un coup. Son souffle était soudain devenu oppressé, son regard fixe. Il avait poussé un râle et fini par s’écrouler.

Adeline repensait à la douceur de ses mains, au côté rassurant de sa barbe, à sa calvitie distinguée. Une odeur la fit tressaillir : les patates commençaient à brûler dans la poêle. Elle se leva pour les remuer, laissant sur la table le journal où on lisait page trois, à la rubrique « faits-divers en trois lignes (de F. Fénéon) : « Chez un cabaretier de Versailles, l’ex-ecclésiastique Rouslot trouva dans sa … »
Fantasio
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Tintin, le propriétaire de l’Ange Bleu, connaissait bien Roger Rouslot, le prêtre défroqué qui pointait présent à toutes les soirées du cabaret. Ce dernier avait bien essayé de se couler dans la quiétude d’un foyer et s’était marié deux fois. Il avait trainé d’un petit boulot à l’autre, sans pouvoir se stabiliser. L’Ange Bleu devenait son principal point de chute. Il avait glissé dans les bras de toutes les callgirls de l’établissement. Elles le chouchoutaient et il les aimait toutes mais n’arrivait pas à se sociabiliser. Il avait trop vécu. Il devait beaucoup d’argent à droite et à gauche, et il était temps pour lui de partir. Il était décidé à partir par abus d’absinthe après avoir reçu les bises de toutes les filles de l’établissement.

Tintin trouva noté sous son porte-verre : « je pars heureux, selon ma propre volonté, parmi ceux qui comptent pour moi ».

Avantscene

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Le cabaret suait la tristesse, sur les murs lépreux se détachaient des lambeaux de papier peint, retombant lamentablement. Là se trouvait l'ex- ecclésiastique Rouslot, prêtre défroqué (qui se défroquait aussi quelques fois lorsque l'ivresse le conduisait aux plus incontrôlables écarts). C'était un homme, du moins ce qu'il en restait , particulièrement triste et malheureux qui était arrivé au terme de sa misérable vie. Il avait fini la dixième absinthe, l'alcool n'avait plus grand goût pour lui à présent ; pour Rouslot, cela ne signifiait plus rien . Il se hâta de commander, à crédit, la onzième absinthe et se mit en devoir de la consommer. A l'issue, le prit une horrible crise de delirium qui lui fit voir de drôles de créatures un peu partout, des rats, des cafards grassouillets et touts sortes de vilaines créatures touts plus épouvantables les unes que les autres. Elles le fixaient en rigolant, leurs yeux exprimant une ironie morbide et dévastatrices ; elles escaladaient la table et rampaient autour de lui, comme dans un tableau de Jérôme Bosch, il vit des flammes et se demanda si pour faire bouillir une marmite il lui aurait fallu une charretée de bois.L'incendie sembla alors l'absorber. Le serveur le trouva inanimé, assis à la même place , les yeux fermés et le regard désormais absent pour l'éternité. Décidément, Rouslot, Dieu ne t'a plus en sa Sainte Garde ; Il mourut en ce lieu sordide où il avait laissé ses derniers sous. Cette fois , il n'avait pas payé ses absinthes, il était mort à crédit.

Gérard