Journal d’un
tourniquet du métro
Temps d'écriture : 10 minutes
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17 mars
Aujourd’hui nous y sommes tous passés. Maria, la femme de ménage nous a astiqués vigoureusement au vinaigre. Mais bon sang, ça pique ce truc, et elle n’est pas capable de nous frotter avec délicatesse ! Non, elle a une sacrée poigne, elle frotte, elle frotte, elle frotte, pour un peu ça me filerait de l’urticaire !
Mais au moins, aujourd’hui, je brille de mille feux et pourrai faire sensation pour le grand dîner de demain. Cela faisait longtemps que j’étais rangée au placard, je commençais à m’ennuyer.
18 mars
Tadam. Dans la maison c’est la course, tout le monde s’affaire pour le dîner de ce soir. Quatorze personnes, et apparemment des gens importants !
Je serai à l’honneur. Tous les copains sont au garde-à-vous.
J’ai retrouvé Alphonse, le verre à pied en cristal, un bail que je ne l’avais pas vu ! On a pu faire un brin de causette, c’était chouette.
J’ai entendu que madame Délirian serait là avec son mari, l’ambassadeur du Sénégal ! Elle est d’une beauté incroyable. J’espère que je tomberai sur elle, quel délice de pouvoir cajoler sa langue et son palais toute la soirée !
19 mars
Je suis exténuée ! La dîner a duré des heures. Les plats se sont enchaînés de manière quasi ininterrompue. J’ai travaillé comme une folle. Surtout que j’ai été attribuée à M. Jeanneteau, député du centre, qui mange comme un goinfre. Il a repris trois fois de l’agneau, deux fois du riz et quatre fois des légumes. Et puis une sacrée mâchoire celui-là ! On ne peut pas dire qu’il m’ait caressé voluptueusement d’une bouche raffinée et délicate. En plus il avait des bridges et des couronnes partout dans la bouche, c’est beaucoup moins agréable que le contact de belles dents saines.
Enfin, j’aurais pu tomber sur pire. Cyrelle a dû servir toute la soirée ce vieil édenté de Coliard, académicien grabataire. Et c’est Bastian qui a eu la chance de toucher la belle bouche et les savoureuses lèvres de Mme Délirian. Il en est encore tout retourné.
Maria est en retard. Nous attendons tous agglutinés les uns contre les autres dans la cuisine, plein d’huile et de gras. Ça commence à devenir franchement désagréable. Vivement le bain ! Ensuite un peu de repos pour se remettre de la folie des derniers jours sera fort apprécié !
Agnès-Sarah
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Bref,
me voilà installé depuis deux ans au métro Havre-Caumartin. Ca va. J’ai des
collègues qui friment parce qu’on les a peints en doré et qu’ils bossent à
Ranelagh. D’autres sont régulièrement enjambés, voire forcés… je le sais. Ce
matin, neuf heures, c’est calme, le plus gros des employés de bureaux, vendeurs
et vendeuses de grands magasins, est passé.
Tiens,
voilà un retraité, tremblotant, qui pousse tout ce qu’il peut, sans réaliser
qu’il doit d’abord retirer son ticket. Bon, ça y est. Suivent trois Japonaises
qui piaillent et se bousculent. Qui s’extasient sur ce joyau de la technologie
française. J’ai peur à un moment qu’elles ne me prennent en photo, mais non. Voilà
une jeune femme et son fils…qui profite de sa petite taille pour se glisser
sous moi et passer. Sa mère s’abstient de tout commentaire. Elle me fait
tourner d’un geste de vamp et disparaît dans le couloir direction Pont de
Sèvres.
Plus
personne. Des grondements souterrains, la préposée au guichet qui téléphone,
comme à son habitude. Si au moins il pouvait y avoir une poursuite après un
« voyageur sans titre de transport », ou une panne de courant, ça me
distrairait.
Les
heures passent. Cinq heures. Enfin, ça reprend. Mains pressées, mais
poisseuses, coups de fesse, de hanche, de genoux, de sac propulsés en avant.
Clac, clac et –re-clac ! Je revis !
Fantasio
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En
voilà un qui arrive à toute allure avec sa voiture de sport, je vais me faire
un malin plaisir de le bloquer, ça lui apprendra à frimer. Et toc, je m'allume
et je demande au feu vert un rab de temps, il ne me plaît vraiment pas ce type.
Il regarde sa montre, pianote des doigts sur le volant, tu n'es pas prêt de
repartir mon gars, le vert me laisse dix minutes,tu vas devenir fou, tu seras
en retard à ta réunion, tu vas te faire engueuler, j'en suis tout rouge d'aise.
Allez, les dix minutes sont passées, appuie sur l'accélérateur, mais j'ai
prévenu mon copain qui est à cinquante mètres, il va te faire la même. Moi,
j'aime faire rougir d'impatience les éternels pressés, stressés, speedés, je ne
peux pas les supporter.
Tiens, une
vielle 2CV toute délabrée, ah celle là, je ne vais pas l'arrêter, elle serait
capable de ne pas repartir.
En tous les cas, une vie de feu
rouge donne un pouvoir énorme mais le feu vert se sent plus libre, m'a-t-il
dit, plus convivial. Quant au feu orange, ce n'est qu'un indécis, jamais de
prise de position.
André