mercredi 29 avril 2020

Le trio

Ecrire un texte sur le thème du trio (avec une contrainte : pas de trio amoureux)


UN TRIO GOURMAND : Crème, fraise, petite cuillère


Dans l’assiette, la crème s’étend sur toute sa rotondité, 
elle a été fouettée, pour plus d’onctuosité.
Doucement les fraises sont déposées sur la crème immaculée, 
le contraste des couleurs, 
du blanc parfait et mousseux au rouge cramoisi et gourmand,  
et la fragrance enivrante du fruit excitent les papilles.
La petite cuillère prolonge les doigts de la gourmande, 
se réchauffe à leur contact,
En une savante rotation elle est conduite sur la chair tendre de la fraise
et s’apprête à la fendre… 
Non... pas tout de suite. 
Menée par les doigts habiles, 
la ronde cuillère gobe une dose de cette crème légère, 
enrobe délicatement la fraise, l’habille de lactescence. 
Quelques akènes apparaissent encore, laissant deviner le fruit désiré. 
D’un mouvement adroit, elle s’engage sous la chair, 
la porte aux lèvres ouvertes qui l’emprisonnent, 
se laisse glisser sur la langue,
puis, quitte ce doux fourreau 


pour donner libre cours à la mastication de la gastronome.

Patricia

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Chaque fois c'est pareil


A chaque fois c'était la même chose. A chaque fin de partie, il savait comment cela se terminerait. Au point qu'il priait le  ciel pour ne pas tomber sur eux, non ceux-là particulièrement, mais des gens de leur « rang », du même acabit, quoi ! 
Déjà, ils se moquaient de son prénom, de son allure... Et en outre, il savait qu'avec eux il n'avait aucune chance de l'emporter...
Mais enfin, qu'est-ce qu'ils avaient, avec son prénom ?  Lancelot, ce n'était quand même pas rien - pas Marcel ou Jean-Paul... ou Eudes, comme ce copain d'une autre couleur, c'est-à-dire d'une autre équipe, un grand flandrin mélancolique mais plutôt sympa... Quant à eux, les autres, là, ils s'appelaient Alexandre, et elle Judith - Bon, un roi, d'accord, mais vêtu de la même couleur noire que lui Lancelot, et elle, toute drapée de rouge, c'est vrai qu'elle était sexy, vraiment royale aussi dans un autre genre... Mais on voyait bien que c'était une sournoise, d'ailleurs la rumeur ne prétendait-elle pas qu'elle avait tué un de ses amants ? Elle avait été acquittée, mais par provocation elle lançait de temps à autre en guise de cri de guerre : « Qu'on leur coupe la tête ! - Qu'on leur coupe la tête ! » 
En tout cas, ça ne faisait pas un pli : chaque fois qu'ils sortaient ensemble, rien que pour une partie, c'est lui perdait. Soit qu'Alexandre lui rive son clou, en lui jetant, méprisant : « Tu n'es qu'un valet... ! », soit que Judith se mette à hurler : « Je coupe à cœur ! - Je coupe à cœur... car tel est mon plaisir ! » - Elle, la jolie reine, l'implacable Belle Dame sans merci... 

Alain


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             COMME ON SE RETROUVE 

On s'était dit ... on s'était dit et puis le temps a passé.
On a eu vingt ans ensemble et on s'est promis, comme dans la chanson, de se retrouver dix ans après, Joseph (dit le grand Jo) Maurice (dit Momo) et moi (dit rien du tout).
Joseph, cheveux frisés et moustache conquérante, se posait en chef. Maurice était l'éternel second, le souffre-douleur. J'étais l'électron libre, celui qui n'avait pas fait sciences-Po comme eux deux, mais un master de droit. N'importe quoi.
A trente ans, le rendez-vous eut bien lieu. Maurice avait perdu pas mal de cheveux et fondé une famille. Joseph cavalait toujours. Je restais discret sur ma vie privée et me bornais à écouter au "Grand Cerf", le restaurant chic de la ville, mes deux copains égrener leurs voyages, leurs mutations, leurs vie en pointillés.
- C'est pas tout çà, lança Jo à la fin du repas, mais j'espère, les gars, qu'on se retrouvera à quarante !  Et de lever son verre avec détermination.
Quarante ans. Nous y sommes. Je suis arrivé le premier devant la porte du "Grand Cerf". Je la pousse. D'un coup d'oeil, j'aperçois Maurice au fond. En dépit de nos engagements, une femme l'accompagne, la sienne, sans doute. Jo arrive un peu plus tard, seul, mais avec, plein la bouche,  ces U.S.A  où, dit-il, il a trouvé une place en or dans la spéculation boursière. La femme de Momo boit l'apéritif avec nous, puis elle nous laisse "entre hommes" comme elle dit.  Sa silhouette de petite souris blonde disparaît vers l'autre extrémité du restaurant et Joseph écarte les bras : Alors ! Clame-t-il, quoi de neuf ?
Assistant à la fac' voisine, je viens de perdre mon boulot. Je biaise pour ne pas le leur avouer. Maurice s'étale sur sa vie familiale ... pour un peu il nous sortirait des photos de ses gosses. Je les regarde longuement tous les deux, mes anciens condisciples : Maurice a la bouche qui se fripe et Joseph tremble en avalant son énième verre de vin.
Je me dis que le tournant des cinquante, ce sera sans moi.
Définitivement. 


Gérard

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Le trio blanc marron jaune

C’est une fratrie
Un trio de sœurs poubelles
L’une marron, l’aînée (longtemps fille unique)
L’autre blanche (la plus bruyante)
Et enfin la petite dernière la jaune (arrivée sur le tard)
Un trio de sœurettes
Avec ses mesquineries et ses perversités
Ses lâchetés et ses amertumes
Ses chamailleries et ses disputes
Ses jalousies et ses retrouvailles.

Elles croupissaient au fond d’un local à poubelles
Constamment sale et délabré
Et qui empestait souvent les ordures
Elles avaient rêvé d’un autre destin
Plus glorieux, plus flamboyant, plus noble
Mais la destinée en avait voulu ainsi
Croupir en attendant les détritus qu’on leur jetterait dessus
Et des mains robustes viendraient inlassablement
Les prendre parfois avec brutalité
Pour les déposer sans ménagement sur un bout de trottoir
Qu’il pleuve ou qu’il vente
Elles devaient attendre dehors
Qu’on vienne les vider de leur contenu souvent repoussant
Et attendre encore qu'on les rentre.

Les frangines avaient bien essayé de se rebeller
D’échapper à leur triste sort
En espérant une autre destinée
Mais en vain
Elles ont fini par se résigner...

Et les choses ont changé tout doucement
Elles ont fini par comprendre, et même par accepter
D’être condamnées à ces bas-fonds de la société
Ô combien utiles !
Elles ont réalisé que leur rôle était précieux
Dans ce monde qui va droit dans le mur
Elles jouent un rôle incontournable
Elles contribuent à la chaîne du tri sélectif
Indispensable dans notre société de (sur)consommation
Et participent ainsi activement
A la préservation des ressources naturelles.

Elles se sentent à présent fières de leur rôle 
En nous facilitant le tri de nos déchets
Consolées de leurs illusions perdues
Réconciliées avec leurs rêves évanouis
Elles ont enfin trouvé leur place
Elles sont enfin en paix avec elles-mêmes.

Ziza

jeudi 23 avril 2020

Bleu


La proposition est la suivante, en lien avec le départ de Christophe et inspirée de sa célèbre chanson "Les mots bleus" : 
Ecrire une histoire avec le plus de mots "bleu" possible (la couleur, le fromage, etc.).


Petit lexique non exhaustif du Bleu


Rêver dans l’infini du bleu du ciel
S’y perdre, contemplation bleue.
Bleus à l’âme
Oubliés dans la sagesse du bleu.
Sérénité et nuances de bleus.
En miroir le bleu du ciel 
rend la mer d’un bleu profond
Du bleu turquoise de la pierre,
au bleu minéral de la topaze
Du calme prodigué par les semi-précieuses
Aigue-marine, azurite, lapis-lazuli.
Icebergs d’un bleu éclatant, par manque d’air.
Kandinsky a suggéré « le bleu clair s’apparente à la flûte, 
le foncé au violon, s’il fonce encore a la sonorité somptueuse 
de la contrebasse ; dans ses tons les plus profonds,
les plus majestueux, le bleu est comparable 
aux sons graves d’un orgue.» 
Dans la nature, poésie des fleurs bleues
Bleuet, volubilis, iris, myosotis, pervenche, 
lin, agapanthe aux ombelles rondes bleues violet.
Oiseaux bleus du monde, autre merveille de la nature.
Mais aussi les «cols bleus», les ouvriers portant
le bleu de travail dans les usines
comme le «bleu de Chine» sous d’autres latitudes.
Bleu outremer, bleu de cobalt, bleu lavande, bleu de Prusse...

je vous aime.

Patricia

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                                                                  UN TUBE                                  


En aval de Paris, au-dessus des eaux bleu marron de la Seine, il y avait une maison. Pas bleue, la maison, plutôt jaunâtre, en meulières. Dedans, le déjeuner s'achevait. Au menu, truite au bleu et bleu de Bresse. Assis à table, le chanteur Tristophe se curait une dent en relisant un texte de chanson : "Les mots louches". Ça disait : Je te dirai les mots louches / Les mots qu'on lit avec la bouche ...
De ses yeux bleu pâle, Tristophe fixa celui qui lui faisait face, l'auteur. C'était un certain Jean-Michel Barre, fils d'un futur premier ministre. – Ça va pas, là, Jean-Mi. C'est nul, même ! Pourtant, t'es pas un bleu !
Jean-Mi, jean bleu et chemise couleur lavande, se contenta d'acquiescer. Tristophe (qui était de Marseille) en rajouta : C'est minableu ! Moi, mon cœur de cibleu ... c'est les minettes ! Il me faut un texte un peu plus fleur bleue, tu vois ! 
Jean-Mi, qui s'était fait un bleu la veille en se cognant contre le piano, se frotta le genou en opinant. 
Tristophe s'exclama : - Je ne te demande que douze ou quinze lignes ... mais fomidableu ! Après on encaisse et on va se la couler douce au bord de la grande bleue ! Allez, au boulot ! Je suis sûr que tu en es capableu !
Deux heures plus tard, alors que le musicien jouait ad libitum la même note sur son clavier (la note bleue ?) Jean-Mi reparut, le cheveu en bataille et des tics nerveux agitant son visage : - Voilà !
Et Tristophe lut : Je te dirai les mots mauves / les mots qu'on dit dans les alcôves ...
-  Non, s'énerva-t-il, les mots mauves ... ça fait momoves ! C'est pas possibleu !
Et de jeter, rageur, la feuille de papier roulé en boule à la tête de Jean-Mi.

On sait, bien sûr, qu'à peu près à la même époque Christophe composait "les mots bleus" avec des paroles de Jean-Michel Jarre, mais ceci est une autre histoire.

Gérard


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La vie en bleu


Schtroumpf morose se réveilla dans sa chambre aux murs myosotis. Il se frotta les yeux, ce faisant il sentit sur sa pommette l'ecchymose due à cette bagarre hier soir, avec les débutants de l'équipe, des gugusses en cotte de travail qui avaient ricané en entendant la radio annoncer la disparition d'un chanteur d'origine transalpine, pour qui vivre habituellement dans la nuit noire n'était pas une raison pour ne pas voir la vie en bleu. Notre cher Christophe.
                                                                                                                                                  Il passa sa main sur ses joues, et songea qu'il allait devoir se raser aujourd'hui, sous peine de ressembler bientôt à ce monstre féminicide et même tueur d'épouses qui exerçait au Moyen Age. 
Mais avant tout, le petit-déjeuner. Il rêva un petit peu en regardant la flamme couleur horizon qui sourdait du brûleur. Une fois l'eau bouillante, il la versa sur les feuilles de salsepareille qui constituaient l'ordinaire des gens de sa tribu. Bien que né-natif du Nord (plus précisément du nord-est, vers la ligne des Vosges, en fait), il ne raffolait pas du maroilles trempé dans la boisson du matin. Aussi fit-il comme d'habitude : il se prépara une tartine recouverte d'une couche épaisse de ce fromage peint aux couleurs de l'horizon car embaumé d'un champignon, la fourme d'Ambert, quoi !


Après avoir noué à son cou une écharpe couleur lavande, il sortit faire un tour. Au retour, repensant au défunt chanteur, dont une chanson lui avait longuement trotté dans la tête toute la matinée, il eut un coup de blues... et, soudain, une idée : Tiens, je vais lui envoyer des mots roses !


Alain

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Marguerite
Une belle nuit d’été en 1939. Fest-noz à l’occasion de la fête de la Saint-Jean sur le port illuminé de Paimpol.
Marguerite, jolie rousse très fleur bleue croise le regarde bleu azur d’Emile. Ils ne se connaissent pas. C’est le coup de foudre immédiat ! 
Une valse, puis deux, …la Java bleue aussi…la tête leur tourne mais ce n’est pas à cause du petit bleu.
La guerre approche à grands pas. Chacun le sait. Chacun le sent. Ces jeunes à peine sortis de l’adolescence le savent aussi. Ils pressentent que ce sera peut-être leur unique bal…
Alors ils s’éloignent et s’aiment de toute la fougue de leur jeunesse…seul le reflet bleu des vagues en est témoin.
Ils tomberont bleu l’un de l’autre et s’aimeront tout l’été 39…Marguerite, fille de paysans cultivant le coco paimpolais, sait que cet amour s’achèvera bientôt car Emile, fils de marins-pêcheurs de Ploubazlanec, reprendra la mer du Nord bientôt pour affronter les tempêtes afin de pêcher la morue, longue tradition bretonne de père en fils.
Et ses parents ont pour elle un autre avenir : épouser Louis, le fils des voisins, cultivateur de cocos lui aussi. Sa mère ne reviendra pas sur ce mariage car elle refuse de voir sa fille arpenter la Croix des Veuves, là d’où scrutent les femmes l’horizon pour apercevoir la voile des bateaux de leur homme parti en mer gris-bleu de longs mois.
La mère, Mathilde, a perdu son père puis ses frères, tous marins de père en fils. Elle ne veut pas que Marguerite connaisse la même douleur…alors elle épousera le fils du voisin. C’est entendu ainsi !
L’été touche à sa fin et la guerre éclate brusquement début septembre. Emile qui a tout juste 20 ans, est appelé à rejoindre la Marine nationale. Comme ce n’est qu’un bleu, il portera la vareuse et le pantalon à ponts, comme tous les matelots à bord. Ce n’est que lorsqu’il montera en grade qu’il arborera l’uniforme bleu des officiers de la Marine (« les cols bleus » comme on dit dans le jargon militaire). Avant de partir, il étreint une dernière fois sa délicate Marguerite sur le port. Une fois de trop. Louis n’est pas loin. Il guette. Il sait tout (il n’y a pas vu que du bleu !). Mais il jalouse cet homme pour l’amour que Marguerite lui porte. Malgré les circonstances (toutes les familles du coin sont là pour les au revoirs à leur fils, leur père, leur frère…), la colère de Louis éclate et il écrase son poing sur le visage du pauvre matelot. Ce dernier, à demi hébété par le coup, rejoint son bateau…il entraperçoit une dernière fois sa bien-aimée.
Son cœur se serre mais son œil lui fait mal : il réalise alors qu’un énorme bleu se forme sur sa peau burinée de pêcheur. Il ne peut s’empêcher de penser qu’il ne part pas en héros ! Mais il doit réajuster son bachi sur sa tête (le célèbre béret du marin en drap de  laine bleu foncé orné d'un pompon rouge) qui a été touché par de multiples mains selon la célèbre tradition du pompon porte-bonheur.

Quelques mois passent…Marguerite sait qu’elle ne recevra pas de nouvelles de son beau matelot. Elle accepte sans joie le mariage avec Louis qui sera célébré en novembre selon les traditions bretonnes. Marguerite portera une belle robe de mariée blanche et noire ornée de dentelle fine, mais elle aura des bleus à l’âme sous sa coiffe traditionnelle…elle sait qu’elle attend un enfant, le fruit de son amour avec Emile.
Quelques semaines plus tard, une jeune femme (la sœur d’Emile) viendra lui porter un petit bleu lui annonçant la disparation d’Emile lors d’un bombardement par les Allemands en mer du Nord. A cette annonce, Marguerite veut mourir pour rejoindre son amour …mais à cet instant précis, elle perçoit un petit coup de pied contre la paroi de son ventre rebondi. Emile est vivant à travers cet enfant …et il sera ainsi toujours là près elle !
Le lendemain, elle mettra au monde une petite fille aux grands yeux bleus, seuls témoins de cet amour impossible. Elle lui donnera le doux prénom d’Aimée…
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Marguerite reprend son souffle…ses yeux s’embrument…son arrière-petite-fille Louise (qui vient lui rendre visite chaque semaine dans son EPHAD « Les flots bleus » situé le long de la mer sur la commune de Paimpol, à quelques pas de sa maison natale) vient d’arriver. Elle occupe depuis deux ans une jolie petite chambre peinte en bleu lavande et elle trottine plusieurs fois par jour jusqu’à sa fenêtre pour voir le camaïeu de bleus des vagues qui viennent lécher le sable gris. La mer arbore des bleus différents selon la lumière du jour. Sans cette « vue sur mer », Marguerite aurait depuis longtemps abandonné la partie.
Louise adore Marguerite et un lien particulier mêlé de complicité et de tendresse les unit depuis toujours. Marguerite sent qu’elle va bientôt quitter ce monde. Il faut dire qu’elle a bientôt 88 ans, et ses forces l’ont abandonnée depuis longtemps. Elle a décidé de confier à Louise ce lourd secret de famille qu’elle ne veut pas emporter dans sa dernière demeure…Alors elle abandonne sans regret le cordon-bleu sans saveur qui traîne dans son assiette de porcelaine en bleu de Sèvres, et plante ses yeux dans le regard bleu azur de sa chère Louise …
Ziza

samedi 18 avril 2020

Les 10 mots

d
La proposition du jour  => écrire un texte contenant tous les mots ci-après (donnés par les écrivants du groupe ) :

Arbre / coin de rue / dormir / tourner / escapade / Romorantin / Paulette / frigo / chasseur-cueilleur / liberté.

Une contrainte supplémentaire pour ceux qui le veulent : un autre texte avec la contrainte du sous-genre littéraire "policier".


Quel lundi !


J'habite Romorantin. Je sais ce que vous allez dire  : rien que les quatre syllabes sont désespérantes. Et la vue, donc. Du premier étage où j'habite je vois une place avec un arbre et un banc vert où les vieux viennent à l'occasion se poser pour discuter ou regarder passer d'autres romorantinais ou romorantinois, je ne sais même pas comment on dit ! J'ai trente-trois ans et je touche un RSA aussi maigre que l'arbre de la place. Qu'est-ce qui me reste à faire ? Dormir pour oublier ... ou bien taper dans le frigo, m'enfiler des bières qui finissent par mélanger les choses, me faisant sombrer dans l'hébétude. 

Heureusement, il y a Paulette. Il suffit que je me lève (sur le coup des onze heures, quand même !) que je m'habille en hâte, que je dévale l'escalier pour l'apercevoir au coin de la rue. Là, je fais le fier : je ne vais pas directement vers elle, je tourne un peu, je me traîne jusqu'au kiosque où je fais mine de regarder les journaux. Puis, à pas lents, je reviens vers ses bouquets de roses, de tulipes et de glaïeuls.

- Bonjour, Paulette ! Ca va ? 

- Et si t'allais travailler, feignasse !
- Paulette ...
- Quoi ? J'ai pas raison ?
C'est comme ça que je l'aime, ma marchande de fleurs : nature, ne se payant pas de mots ! Elle a bien vingt-cinq ans de plus que moi, pourtant je rêve : je rêve parfois de lui proposer une escapade  à la campagne. On se baladerait dans les prés, on jouerait les chasseurs-cueilleurs en ramassant de pleines brassées de fleurs. Ou des fruits, pourquoi pas ? Je ne lui prendrai pas la main, bien sûr, on serait comme deux copains de classe ... dont une aurait un peu redoublé ! 
Ce serait comme qui dirait la liberté. 
Allez, c'est décidé, aujourd'hui, je lui en parle :
- Dites donc, Paulette ...
Elle extrait un visage rougeaud du col de sa parka :
- Qu'est-ce qu'il y a, voyou ? Tu veux me faire une proposition malhonnête ?
- Euh ? Non ... non ! Je vais ... je vais vous prendre une rose, tiens, une rose rouge !
- C'est pour ta mère ?
Elle me tend la perche. J'hésite à lui murmurer :
- Non ... pour vous ! 
En réglant la rose avec mes derniers euros, je pense à trop de choses. Je la serre donc contre moi (la rose, pas Paulette !) avant de m'éloigner à pas lents. 
Et je prends pour la énième fois le chemin de Pôle-Emploi. Sait-on jamais, après tout ?

Gérard

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L'incroyable voyage de Paulette

A force de passer des heures à tourner dans son appartement, avec pour seule occupation de contempler - contempler, c'était d'ailleurs beaucoup dire, tant l'objet manquait autant de charme que d'intérêt - cet arbre déplumé au coin de la rue, Paulette ressentait un dégoût comme jamais elle n'en avait connu. 
Bon ! Inutile de s'hypnotiser davantage sur ce truc, décida-t-elle. Elle ouvrit d'un geste ferme la porte du frigo, inspecta l'intérieur... S'emparant d'un vieux morceau de fromage qui traînait là, elle retourna s'asseoir sur son canapé. Elle avait remarqué que le fromage, et en particulier le Saint-Nectaire, exerçait sur ses capacités de réflexion un effet stimulant qu'il aurait été dommage de négliger. 
Ceci posé - comme chaque fois qu'elle s'aventurait dans cet ustensile qui se parait du titre ronflant, mais justifié, de réfrigérateur - le tout n'était pas de penser, mais de penser quelque chose. Alors, ma vieille, s'interpella-t-elle, sans autre ménagement. 
Alors ? Oui, il fallait avancer, inutile de continuer à dormir en prétendant qu'on vivait. Elle croqua une bouchée de fromage, la fit tourner sept fois dans sa bouche... et la lumière jaillit : elle allait partir pour Romorantin ! Oui, une escapade même de courte durée dans ce coin où elle n'était jamais allée changerait les perspectives plutôt moroses de sa vie actuelle... 
Romorantin, c'était la solution - Là-bas, ce serait bien le diable si elle ne croisait pas la route de quelque chasseur-cueilleur en liberté, un de ces hommes des bois adepte des traditions séculaires de notre beau pays. Il poserait successivement : son regard sur elle, et sa massue en bois de châtaignier. Il repousserait de la main le paquet d'étoupe lui servant de cheveux (et qui avait l'air de ces dreadlocks qu'arboraient certains de ses lointains descendants). 
Il se dirigerait vers elle, lui sourirait en tendant les bras... - Au pire, s'il était pris ailleurs, il n'était pas impossible qu'elle tombe sur un charcutier-métreur, ou un penseur-géographe... Même un couvreur-trigonométricien ferait l'affaire : elle n'allait pas jouer les difficiles, du reste pourquoi mépriser telle ou telle catégorie professionnelle ? Chacune n'a-t-elle pas ses qualités et même sa noblesse ? 

Alain

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Un week-end sauvage
Paulette n’en pouvait plus de tourner en rond dans son petit deux-pièces situé sur la Buttes-aux-Cailles. En plein confinement depuis maintenant 27 jours, elle ne supportait plus de passer ses journées à errer entre son frigo et son canapé qui n’avait plus d’âge. Sa balade réglementaire d’une heure quotidienne dans son quartier (qu’elle avait toujours adoré jusqu’alors) l’insupportait à présent au plus au haut point car elle ne croisait dorénavant plus personne et les vitrines des boutiques étaient dissimulées derrière les rideaux de fer.

Paulette rêvait de liberté, comme elle n’en avait jamais rêvé jusqu’alors ! Elle s’imaginait occuper ses journées en mode chasseur-cueilleur et dormir la nuit aux pieds des arbres après avoir contemplé le ciel étoilé… Bref, une vie à la Robinson Crusoé !

Alors, sans réfléchir, Paulette sortit en trombe de chez elle et sauta dans sa Twingo bleu ciel garée au coin de la rue, et sur un coup de tête, partit s’offrir une escapade en Sologne : direction Romorantin !
Ziza

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BUS 309

Romorantin 8h15

Bondé chaque matin. Place assise tout de même. Toi aussi. Si près, si loin dans tes rêves,  dormir encore. Chaque cahot , nous bougeons ensemble ; chaque remarque prononcée par la foule multicolore, tu l’entends comme moi. Nous partageons ces moments. Tu tournes la tête, ton regard se perd dans les arbres fleuris de notre chemin commun. Tu frissonnes. La clim, un vrai frigo ! Je voudrais couvrir tes épaules de chaleur. 
Arrêt brusque, bousculade, bras tendus, chocs… Nous sommes lassés d’être là, pourtant je partage ces heurts avec Toi, tu ne me vois pas, je te souhaite.
Règles de vie en société, peur du regard de l’autre. On le fuit.
Fuir, escapade, ailleurs. Tu es ailleurs, tu as quitté le 309, disparue au coin de la rue…
T’appelles-tu Sophie, Paulette ou Laetitia ? Es-tu architecte, coiffeuse ou actrice ? Vis-tu seule dans un loft ou souhaites-tu partager la vie d’une tribu de chasseur-cueilleur ? Aimes-tu que le vent caresse ton visage ? 
Peu importe, tu as retrouvé ta liberté en descendant du 309.
A demain.

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LA  FLECHE

Il s'appelait Paulette, Etienne Paulette, pour être plus précis. La cinquantaine fatiguée, il avait bourlingué un peu partout, spéculé à New-York, joué les chasseurs-cueilleurs en Amazonie. Il avait même fait des escapades au Kamtchatka et, à présent, vivait retiré à Romorantin. Il semblait limiter ses sorties à de vagues courses pour remplir son frigo et ne parlait à personne. A peine le voyait-on, parfois, à un coin de rue, lancé dans une discussion sur les arbres avec les jardiniers municipaux. 
Cet homme était un mystère et sa mort le fut plus encore : on le retrouva, un matin, allongé devant chez lui, une flèche empoisonnée dans le dos. 
L'enquête suivit son cours. On devait découvrir à Etienne un neveu, qui vivait à Paris et qui fit, pour l'occasion, le voyage à Romorantin. Gros garçon mou aux baskets jurant avec son costume noir, le neveu n'était pas fûté : il se troubla aux interrogatoires et il s'avéra qu'il avait accumulé les imprudences, allant jusqu'à conserver le billet de train qui lui avait servi à rendre visite à son oncle la semaine précédente. 
Le but du meurtre ? L'héritage, bien sûr. Le moyen ? Une flèche appartenant à la collection de M. Paulette que le neveu, au moment des adieux, lui avait lâchement planté entre les omoplates. 
La justice a estimé que le principal suspect devait dormir en prison. Retrouvera-t-il un jour la liberté ? Comment tout cela va-t-il tourner ? Le procès, très attendu,  le dira. 
Déjà, il se murmure qu'Etienne Paulette avait eu plusieurs fois maille à partir avec un de ses voisins, un Péruvien, membre d'un club de tir à l'arc. Des menaces avaient été proférées et l'homme avait, depuis, disparu. 
Par ailleurs, car rien n'est simple, il s'avère que Kevin, le neveu, a traversé des périodes où il se prenait pour un sorcier Toltèque. A suivre, donc.

Gérard

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Paulette au rendez-vous

Paulette s'en voulait d'avoir accepté ce rendez-vous, sous leur arbre habituel, celui où ils avaient eu l'habitude de se retrouver il y a près d'un siècle, avant que Pedro ne soit contraint à passer son temps « au frigo » - c'est ainsi qu'il appelait la maison d'arrêt de Romorantin, où il avait passé plusieurs années à rêver à la liberté, liberté chérie ! A ne dormir que d'un œil, au cas où une occasion de partir en escapade vers le vrai monde se présenterait.  

Son métier de chasseur-cueilleur, c'était carrément pour lui une vocation : il l'exerçait avec passion, cherchait sans cesse à améliorer sa pratique, par une formation continue exigeante... qui ne l'avait pas empêché de tomber stupidement, le jour où une femme, non seulement s'était refusée à le laisser cueillir son sac à main, mais s'était mise à le frapper - lui ! - avec ce même accessoire, qui soit dit en passant paraissait lesté de plomb. Il n'avait pas supporté cette transgression des règles usuelles du savoir-vivre, et s'était vu obligé de réagir. De façon apparemment disproportionnée, puisque la lutteuse en était morte, et qu'il avait été envoyé à l'ombre. Bien avancé... !
Plus elle y pensait, et elle avait le temps puisqu'à son habitude il était en retard, moins Paulette avait envie de la voir tourner le coin de la rue, et lui adresser son habituel sourire charmeur. Il avait réussi à se sortir de là, très bien, tant mieux pour lui. Mais recommencer leur vie d'avant, ah ! Non, merci bien... ! 
Tout en lui souhaitant intérieurement toute la chance du monde, Paulette se décida. Elle s'éloigna tranquillement, dans la direction opposée à celle par laquelle Pedro allait arriver. 

Alain

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