jeudi 2 avril 2020

99 mots à jeter (selon JL Chiflet)


99 mots et expressions à foutre à la poubelle : 

"Jean-Loup Chiflet suggère d'ouvrir la chasse aux mots flous et vagues, creux et inutiles, qui polluent, qui irritent, bref, qui agacent notre langue au quotidien ! Il s'inscrit donc en faux contre ce n'importe quoi qui le gave grave, si vous voyez ce qu'il veut dire, Voilà. C'est clair ? Y a pas de souci ? Alors, bon courage ! À plus ! Et bonne fin de journée !"

J.L. Chiflet fait la chasse à ces mots, je vous propose de nous amuser avec eux, nous piocherons largement dans cette liste (pas obligé de tous les utiliser, mais le plus possible) et pourrons écrire une histoire, un slam, un poème, ce qui vous tente.

Saurez-vous les retrouver dans les textes ci-dessous?...

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                                                   Sortie en territoire incertain

Ce n'est pas parce que les circonstances sont extraordinaires qu'il ne faut pas mener une vie normale. Moi, personnellement, qui suis un citoyen lambda, depuis que je suis sur Paris, chaque jour je sors de chez moi, et je me dirige vers l'arrêt de bus. Sans trop y croire, à dire vrai. Parce qu'à cette station, la problématique est toujours la même : c'est qu'il n'y a jamais de bus. En règle générale, il n'y a pas photo, il vient de passer, ou bien il n'est pas encore là.
Et, au jour d'aujourd'hui, je n'ai toujours pas pu solutionner ça, apprendre à gérer le truc - arriver pile au moment où il tourne le coin de la rue, ou un peu avant qu'il ne redémarre, que je n'aie qu'à courir un peu pour l'attraper. Et ça, je peux vous dire que ça me gave. Grave !
Mais cette fois, là, sur le panneau, je vois quelque chose qui m'interpelle. Un chiffre, et même un nombre puisqu'il y a deux chiffres, qui m'oblige à m'inscrire en faux contre mes propres prévisions : 05 minutes ! Carrément du jamais vu, le syndrome de la nouveauté m'éclate à la figure, au point que je commence par ne pas y croire. Je vérifie, et oui, ça se confirme, on lit maintenant 4 minutes, il a passé un peu de temps depuis ma première lecture.
Voilà une vraie bonne nouvelle, c'est carrément un signal fort, pour une fois y' a pas de souci, dans quelques instants je vais être transporté sans retard. Je sens que ça va booster ma journée, pour une fois je ne vais pas devoir me contraindre à positiver, en me disant que ce bus que j'ai raté il était sûrement plein, je serais resté debout, dans le prochain je pourrai m'asseoir, et même du côté de la fenêtre...
Là-dessus, je jette un nouveau coup d'œil au panneau, et je m'aperçois que le véhicule annoncé, ce n'est pas le mien, j'avais mal lu le numéro... ! La honte, si vous voyez ce que je veux dire ! - C'est quand même énorme, non ? - D'autant que, va comprendre, tout à coup, voilà MON bus qui déboule, alors même qu'il n'était pas annoncé !
Eh bien, je n'ai pas cherché plus loin : je suis monté dedans, point barre.

Alain

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                                                    QUE  DU  BONHEUR !

Je suis un très vieil homme. Si, si ! La preuve, je suis à l'Académie Française : j'ai écrit un nombre incalculable d'articles (pour le Monde et Télérama) et plein de livres que personne ne lit plus. Enfin presque. J'apparais parfois dans les  manuels scolaires, pas loin d'Ernest Pérochon et quand ils voient passer mon nom, la plupart des écoliers s'écrient : "Ah, non, pas lui !"
J'habite à St-Germain-des-Prés, bien sûr, le quartier des éditeurs, même si ils ne se bousculent plus pour m'éditer. Du coup je passe beaucoup de temps à ne rien faire et surtout ... j'écoute les infos à la télé et je me gave de mots "dans l'air du temps", et de phrases bateau.
Il y en a des kyrielles et je savoure chacune d'elle pour son côté à la fois définitif et dérisoire.
Or, récemment, j'ai fait un rêve : j'étais devenu tout petit ... et voilà soudain que je me suis retrouvé dans un dictionnaire. Pas celui de l'Académie, non, un Larousse ou un Robert de série.  J'allais d'un mot à l'autre et, me trouvant alors au pied de la lettre, mais laquelle ?  ... j'ai vu venir vers moi des expressions me suppliant de ne pas les prendre. J'écarquillai les yeux,  me demandant le sens de tout ça. 

D'abord, il y en a une qui m'a demandé : - Ça va comme vous voulez ? J'ai réfléchi à ce que je voulais ... et, en fait, oui, je voulais aller. Où ? Je n'en sais rien mais une autre arrivait pour me suggérer que tout ça allait droit dans le mur et effectivement le mur, embouti, s'est écroulé manquant de peu une bande de mots  braillant : Nous sommes des franco-français ! Des franco-français ! le tout entre deux solides guillemets qui semblaient là, avec le classique geste des doigts, pour encadrer tout ce beau monde.
- Y'a pas photo ! Hurlait un dessin ... ceci expliquant sans doute  cela.
Plus loin, il y avait une sorte de guichet marqué "Faux", auprès duquel une cohorte faisait la queue, visiblement pour s'inscrire. Et c'est au moment où a retenti  un signal vraiment fort, presque assourdissant, que tout s'est mélangé dans ma tête : Voilà que des virgules sont apparues en hurlant qu'il n'y avait pas guillemet !  Une voix échappée d'une télé-réalité affirma  : - Ça va comme j'ai envie de dire ! tandis qu'une pub en folie envoyait un signal forto-français à des téléspectateurs qui s'inscrivait tous dans le mur ... dans l'espoir, vite déçu, d'aller en faux.
Positivement, je ne savais plus où me mettre : un consensus iconoclaste impactait, après l'avoir instrumentalisé,  l'individu que j'étais.
Ce n'était ni fait ni du jamais vu.
Bonjour le casting ! On frôlait l'erreur d'ambiance.
Il n'était que temps de Chifler la fin du rêve. Et c'est ce que j'ai fait.
Je me suis extirpé du lit (il était huit heures) et j'ai rejoint ma femme qui prenait son petit-déjeuner dans la salle à manger. - Tu sais, lui ai-je lancé, j'ai eu une idée : j'ai envie de faire une sorte de recensement de ces expressions toutes faites qu'on entend partout ...
-      Ne te fatigue pas, coupa-t-elle.
Posant sa tasse, elle me montra, d'un index distrait, un petit livre posé sur la table : "Liste des 99 mots et expressions à foutre à la poubelle". Je jetai un coup d’œil au nom de l'auteur et explosai :
-    Ton Jean-Loup Machin, il commence à me gaver !
                                                                                                              
Gérard

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Rien à jeter !


On l’appelait Lambda
Vous voyez ce que j’veux dire ?
Rien, quelconque, j’te raconte pas.
Y’avais erreur de casting, ou pire.
Franco-français, brut de fonderie
C’était pas Buzz l’éclair.
Mais « hé Lambda, c’est clair » ?
Il était mythique dans not’ ghetto,
Y’a pas de souci si y’a pas photo.
Lambda, guetteur dans l’ghetto.
P’tits trafics de produits festifs
Bien gérés, fallait du pif
Pour les optimiser et rebondir,
Globalisation, j’ai envie d’dire.
Mais pas de traçabilité
Pour les keufs, seulement pour les usagers.
C’est là que not’ citoyen Lamda
Venait sécuriser l’espace 9-3
L’individu avait sa feuille de route
Habillé comme un senior
Et nominé pour éviter la banqueroute.
Voilà le réveil du Ténor !
C’est qu’il aimait causer 
L’individu ! Un problème sociétal ?
Un clivage ? Peau de balle !
Les keufs arrivaient, il les accueillait sourire jovial.
« Ca va comme vous voulez ?
Des coups de feu ? N’importe quoi !
Y’a pas plus tranquille, croyez-moi.
Que du bonheur dans le quartier,
Voyez le nouveau parc pour jouer à la baballe
Du jamais vu, du social…
La mairie a donné un signal fort
A solutionné les rapports
Tout va bien, c’est un réconfort !
Bonne continuation, bonne journée ! »
Et tout redevenait calme, posé

Seul restait le bruit du frottement des billets échangés.

Patricia

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16 jours / 16 mots

Le président : « D’accord pour le confinement mais il va falloir m’optimiser tout cela. »
Un conseiller : « N’importe quoi ! Comment pouvez-vous encore parler d’optimisation alors qu’il est question de santé publique ! »
Le président : « Tout à fait, on ne va pas les laisser assis sur leurs canapés pendant un mois, je vous rappelle que cela nous coûte un pognon de dingue cette histoire ! Qu’ils se confinent en allant travailler !»
Un conseiller : « C’est incompréhensible… comment peut-on parler de confinement tout en incitant les citoyens à aller travailler… Nous sommes les seuls à porter cette mesure bien franco-française. Il ne serait pas étonnant que certains disjonctent… »
Le président : « Parce que vous croyez que j’ai du temps à perdre avec cela ? Assurez-vous simplement que ce moment ne soit pas festif et qu’ils continuent à travailler ! »
Un conseiller : « Non, je ne vous aiderai plus à formater les esprits, je refuse ! »
Le président : « Vous refusez ? Apprenez que la personne lambda n’est pas en mesure de comprendre ce que nous faisons.»
Un conseiller : « Non, non, c’est justement l’opportunité de renouer avec chacun et d’habilement tourner la page de cette année de contestation, vous voyez ce que je veux dire ?»
Le président : « C’est comme je le dis, point barre ! »
Un conseiller : « Vous n’écoutez personne… La grogne monte dans le pays et nous exposons au monde notre pénurie de masque et nos milliers de ressortissants bloqués à l’étranger, vous y avez pensé ? » 
Le président : « On va optimiser cela… »
Un conseiller : « Vous n’optimisez rien du tout, vous faites mine de chercher des solutions bancales sans consensus ! »
Le président : « Nous avons perdu près de 30 ans de capitalisation, vous vous rendez compte ! c’est juste impensable ! Il nous faut préparer le rebond. Pour cela il faut les faire travailler plus ! Effectivement, si vous n’êtes pas capable de le comprendre, vous n’avez plus rien à faire ici. »
Une voie féminine à peine perceptible : « Emmanuel ! t’es où ? C’est l’heure de ton goûter ! »
Le président : « Retenez bien que j’ai été élu, c’est moi qui décide ! »

Juan

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Point barre!
 

La crise que nous traversons actuellement est surtout sanitaire mais également sociétale. C’est du jamais vu ! Jamais le terme de globalisation n’aura été aussi adapté à cette situation si spécifique et si problématique à solutionner.
Que l’on soit Black dans le 9.3 ou que l’on fasse partie du microcosme parisien (« On est sur Paris »), chaque individu de l’Hexagone est impacté par la dangerosité de la pandémie, et tout particulièrement nos seniors directement concernés !
La feuille de route du gouvernement fait beaucoup causer à ce sujet, et le clivage entre citoyens est palpable.
Au jour d’aujourd’hui, les plus hautes instances se sont penchées sur ce point délicat pour gérer la situation de nos seniors.
Mail il faut bien le dire, ce n’est ni fait, ni à faire : on va droit dans le mur ! Placer nos anciens dans « un ghetto » (entre guillemets, je précise), en les isolant totalement, n’est pas un consensus acceptable. Sécuriser de cette manière la santé de nos anciens reste très limite tout de même ! Le gouvernement a voulu lancer un signal fort mais moi personnellement, je trouve que c’est du n’importe quoi !
L’isolement social est un crime : nos seniors ne mourront assurément pas du Covid-19 mais de solitude…car on sait que seul le lien social maintient en vie ces personnes très fragilisées.
Il faut trouver sans tarder un consensus sans pour autant s’inscrire en faux vis-à-vis du devoir de protection des plus faibles.
Mais je m’interroge : n’y a-t-il pas une erreur de casting au niveau de notre grand référent national pour gérer et solutionner cette crise inédite, alors que tout le corps médical était dans la rue cet automne pour rendre compte de l’état de délabrement de notre système de santé public, sans être écouté, ni même entendu ?...
Bon courage, j’ai envie de vous dire !
A très vite,
Un citoyen lambda

Ziza