jeudi 23 avril 2020

Bleu


La proposition est la suivante, en lien avec le départ de Christophe et inspirée de sa célèbre chanson "Les mots bleus" : 
Ecrire une histoire avec le plus de mots "bleu" possible (la couleur, le fromage, etc.).


Petit lexique non exhaustif du Bleu


Rêver dans l’infini du bleu du ciel
S’y perdre, contemplation bleue.
Bleus à l’âme
Oubliés dans la sagesse du bleu.
Sérénité et nuances de bleus.
En miroir le bleu du ciel 
rend la mer d’un bleu profond
Du bleu turquoise de la pierre,
au bleu minéral de la topaze
Du calme prodigué par les semi-précieuses
Aigue-marine, azurite, lapis-lazuli.
Icebergs d’un bleu éclatant, par manque d’air.
Kandinsky a suggéré « le bleu clair s’apparente à la flûte, 
le foncé au violon, s’il fonce encore a la sonorité somptueuse 
de la contrebasse ; dans ses tons les plus profonds,
les plus majestueux, le bleu est comparable 
aux sons graves d’un orgue.» 
Dans la nature, poésie des fleurs bleues
Bleuet, volubilis, iris, myosotis, pervenche, 
lin, agapanthe aux ombelles rondes bleues violet.
Oiseaux bleus du monde, autre merveille de la nature.
Mais aussi les «cols bleus», les ouvriers portant
le bleu de travail dans les usines
comme le «bleu de Chine» sous d’autres latitudes.
Bleu outremer, bleu de cobalt, bleu lavande, bleu de Prusse...

je vous aime.

Patricia

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                                                                  UN TUBE                                  


En aval de Paris, au-dessus des eaux bleu marron de la Seine, il y avait une maison. Pas bleue, la maison, plutôt jaunâtre, en meulières. Dedans, le déjeuner s'achevait. Au menu, truite au bleu et bleu de Bresse. Assis à table, le chanteur Tristophe se curait une dent en relisant un texte de chanson : "Les mots louches". Ça disait : Je te dirai les mots louches / Les mots qu'on lit avec la bouche ...
De ses yeux bleu pâle, Tristophe fixa celui qui lui faisait face, l'auteur. C'était un certain Jean-Michel Barre, fils d'un futur premier ministre. – Ça va pas, là, Jean-Mi. C'est nul, même ! Pourtant, t'es pas un bleu !
Jean-Mi, jean bleu et chemise couleur lavande, se contenta d'acquiescer. Tristophe (qui était de Marseille) en rajouta : C'est minableu ! Moi, mon cœur de cibleu ... c'est les minettes ! Il me faut un texte un peu plus fleur bleue, tu vois ! 
Jean-Mi, qui s'était fait un bleu la veille en se cognant contre le piano, se frotta le genou en opinant. 
Tristophe s'exclama : - Je ne te demande que douze ou quinze lignes ... mais fomidableu ! Après on encaisse et on va se la couler douce au bord de la grande bleue ! Allez, au boulot ! Je suis sûr que tu en es capableu !
Deux heures plus tard, alors que le musicien jouait ad libitum la même note sur son clavier (la note bleue ?) Jean-Mi reparut, le cheveu en bataille et des tics nerveux agitant son visage : - Voilà !
Et Tristophe lut : Je te dirai les mots mauves / les mots qu'on dit dans les alcôves ...
-  Non, s'énerva-t-il, les mots mauves ... ça fait momoves ! C'est pas possibleu !
Et de jeter, rageur, la feuille de papier roulé en boule à la tête de Jean-Mi.

On sait, bien sûr, qu'à peu près à la même époque Christophe composait "les mots bleus" avec des paroles de Jean-Michel Jarre, mais ceci est une autre histoire.

Gérard


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La vie en bleu


Schtroumpf morose se réveilla dans sa chambre aux murs myosotis. Il se frotta les yeux, ce faisant il sentit sur sa pommette l'ecchymose due à cette bagarre hier soir, avec les débutants de l'équipe, des gugusses en cotte de travail qui avaient ricané en entendant la radio annoncer la disparition d'un chanteur d'origine transalpine, pour qui vivre habituellement dans la nuit noire n'était pas une raison pour ne pas voir la vie en bleu. Notre cher Christophe.
                                                                                                                                                  Il passa sa main sur ses joues, et songea qu'il allait devoir se raser aujourd'hui, sous peine de ressembler bientôt à ce monstre féminicide et même tueur d'épouses qui exerçait au Moyen Age. 
Mais avant tout, le petit-déjeuner. Il rêva un petit peu en regardant la flamme couleur horizon qui sourdait du brûleur. Une fois l'eau bouillante, il la versa sur les feuilles de salsepareille qui constituaient l'ordinaire des gens de sa tribu. Bien que né-natif du Nord (plus précisément du nord-est, vers la ligne des Vosges, en fait), il ne raffolait pas du maroilles trempé dans la boisson du matin. Aussi fit-il comme d'habitude : il se prépara une tartine recouverte d'une couche épaisse de ce fromage peint aux couleurs de l'horizon car embaumé d'un champignon, la fourme d'Ambert, quoi !


Après avoir noué à son cou une écharpe couleur lavande, il sortit faire un tour. Au retour, repensant au défunt chanteur, dont une chanson lui avait longuement trotté dans la tête toute la matinée, il eut un coup de blues... et, soudain, une idée : Tiens, je vais lui envoyer des mots roses !


Alain

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Marguerite
Une belle nuit d’été en 1939. Fest-noz à l’occasion de la fête de la Saint-Jean sur le port illuminé de Paimpol.
Marguerite, jolie rousse très fleur bleue croise le regarde bleu azur d’Emile. Ils ne se connaissent pas. C’est le coup de foudre immédiat ! 
Une valse, puis deux, …la Java bleue aussi…la tête leur tourne mais ce n’est pas à cause du petit bleu.
La guerre approche à grands pas. Chacun le sait. Chacun le sent. Ces jeunes à peine sortis de l’adolescence le savent aussi. Ils pressentent que ce sera peut-être leur unique bal…
Alors ils s’éloignent et s’aiment de toute la fougue de leur jeunesse…seul le reflet bleu des vagues en est témoin.
Ils tomberont bleu l’un de l’autre et s’aimeront tout l’été 39…Marguerite, fille de paysans cultivant le coco paimpolais, sait que cet amour s’achèvera bientôt car Emile, fils de marins-pêcheurs de Ploubazlanec, reprendra la mer du Nord bientôt pour affronter les tempêtes afin de pêcher la morue, longue tradition bretonne de père en fils.
Et ses parents ont pour elle un autre avenir : épouser Louis, le fils des voisins, cultivateur de cocos lui aussi. Sa mère ne reviendra pas sur ce mariage car elle refuse de voir sa fille arpenter la Croix des Veuves, là d’où scrutent les femmes l’horizon pour apercevoir la voile des bateaux de leur homme parti en mer gris-bleu de longs mois.
La mère, Mathilde, a perdu son père puis ses frères, tous marins de père en fils. Elle ne veut pas que Marguerite connaisse la même douleur…alors elle épousera le fils du voisin. C’est entendu ainsi !
L’été touche à sa fin et la guerre éclate brusquement début septembre. Emile qui a tout juste 20 ans, est appelé à rejoindre la Marine nationale. Comme ce n’est qu’un bleu, il portera la vareuse et le pantalon à ponts, comme tous les matelots à bord. Ce n’est que lorsqu’il montera en grade qu’il arborera l’uniforme bleu des officiers de la Marine (« les cols bleus » comme on dit dans le jargon militaire). Avant de partir, il étreint une dernière fois sa délicate Marguerite sur le port. Une fois de trop. Louis n’est pas loin. Il guette. Il sait tout (il n’y a pas vu que du bleu !). Mais il jalouse cet homme pour l’amour que Marguerite lui porte. Malgré les circonstances (toutes les familles du coin sont là pour les au revoirs à leur fils, leur père, leur frère…), la colère de Louis éclate et il écrase son poing sur le visage du pauvre matelot. Ce dernier, à demi hébété par le coup, rejoint son bateau…il entraperçoit une dernière fois sa bien-aimée.
Son cœur se serre mais son œil lui fait mal : il réalise alors qu’un énorme bleu se forme sur sa peau burinée de pêcheur. Il ne peut s’empêcher de penser qu’il ne part pas en héros ! Mais il doit réajuster son bachi sur sa tête (le célèbre béret du marin en drap de  laine bleu foncé orné d'un pompon rouge) qui a été touché par de multiples mains selon la célèbre tradition du pompon porte-bonheur.

Quelques mois passent…Marguerite sait qu’elle ne recevra pas de nouvelles de son beau matelot. Elle accepte sans joie le mariage avec Louis qui sera célébré en novembre selon les traditions bretonnes. Marguerite portera une belle robe de mariée blanche et noire ornée de dentelle fine, mais elle aura des bleus à l’âme sous sa coiffe traditionnelle…elle sait qu’elle attend un enfant, le fruit de son amour avec Emile.
Quelques semaines plus tard, une jeune femme (la sœur d’Emile) viendra lui porter un petit bleu lui annonçant la disparation d’Emile lors d’un bombardement par les Allemands en mer du Nord. A cette annonce, Marguerite veut mourir pour rejoindre son amour …mais à cet instant précis, elle perçoit un petit coup de pied contre la paroi de son ventre rebondi. Emile est vivant à travers cet enfant …et il sera ainsi toujours là près elle !
Le lendemain, elle mettra au monde une petite fille aux grands yeux bleus, seuls témoins de cet amour impossible. Elle lui donnera le doux prénom d’Aimée…
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Marguerite reprend son souffle…ses yeux s’embrument…son arrière-petite-fille Louise (qui vient lui rendre visite chaque semaine dans son EPHAD « Les flots bleus » situé le long de la mer sur la commune de Paimpol, à quelques pas de sa maison natale) vient d’arriver. Elle occupe depuis deux ans une jolie petite chambre peinte en bleu lavande et elle trottine plusieurs fois par jour jusqu’à sa fenêtre pour voir le camaïeu de bleus des vagues qui viennent lécher le sable gris. La mer arbore des bleus différents selon la lumière du jour. Sans cette « vue sur mer », Marguerite aurait depuis longtemps abandonné la partie.
Louise adore Marguerite et un lien particulier mêlé de complicité et de tendresse les unit depuis toujours. Marguerite sent qu’elle va bientôt quitter ce monde. Il faut dire qu’elle a bientôt 88 ans, et ses forces l’ont abandonnée depuis longtemps. Elle a décidé de confier à Louise ce lourd secret de famille qu’elle ne veut pas emporter dans sa dernière demeure…Alors elle abandonne sans regret le cordon-bleu sans saveur qui traîne dans son assiette de porcelaine en bleu de Sèvres, et plante ses yeux dans le regard bleu azur de sa chère Louise …
Ziza