mercredi 8 avril 2020


Inventez une histoire, un dialogue, un texte libre d'après cette photo… 


Son bateau ne vas pas tarder

Cela fait déjà plusieurs jours qu'il vient ici, au cas où... Cette jetée, il l'a tellement parcourue qu'il la connaît par cœur, qu'il pourrait la traverser les yeux fermés. Cinq mètres de large,à peu près. Et la longueur, neuf cent quatre-vingt-cinq pas, des bons pas - décidés, rapides comme ceux d'un type dans la force de l'âge qui sait où il va (Tu parles, comme il le sait!), et qui est pressé d'arriver au but. 

Savoir s'il a choisi la bonne destination, s'il ne ferait pas mieux de tourner le dos à l'océan, de rentrer en ville, c'est une autre affaire ! Peut-être même serait-il plus sage de dépasser ces maisons, ces avenues, ces places, pour s'enfoncer une bonne fois dans les terres, d'oublier à jamais cette jetée qui le nargue, qui lui est en tout cas inutile, il le sent au fond de lui-même. 

Ce bateau, qu'elle a utilisé pour le quitter, lui, ne reviendra pas jusqu'à cette côte. D'ailleurs, on le lui a confirmé, aux Affaires maritimes, ou portuaires, va savoir comment ces fonctionnaires se sont eux-mêmes baptisés : on n'attend pas de bateaux par-ici avant une date indéterminée.  Autant dire les calendes. Autant dire qu'il serait plus raisonnable de laisser tomber, 

Et pourtant, tous les jours et même plusieurs fois par jour, il vient ici, et il contemple les vagues, il écoute leur chant. Il est prêt : dès qu'elle reviendra, il le saura, là-bas sur la gauche depuis la pointe, il apercevra le bateau s'apprêtant à accoster sur l'unique quai, pour l'instant désert. Pour l'instant...

Alain


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LA  PHOTO

Ma tante avait deux chiens : un familier et doux, qui régnait sur le salon et la chambre, l'autre, plutôt méchant, chargé de protéger la petite maison de Houet-Binoh où vivait tatie Suzanne depuis près de vingt ans.
Je ne la voyais pas souvent, ma tante : aux vacances, et encore. Là, j'avais dix-sept ans, c'était le soir et je devais ramener Sultan, le plus gros des chiens, dans l'espèce d'appentis où il passait la nuit. La bête m'aimait bien. Elle se laissa mener jusqu'à la pièce en désordre où s'accumulaient outils, rouleaux de fil de fer, vieux paillassons et pneus usagés. Au milieu de tout ce capharnaüm, était disposée une couverture pliée en quatre sur laquelle dormait  Sultan. Il commença, classiquement par sauter un peu partout, but à sa gamelle, puis se coucha avec un soupir d'aise. J'allais éteindre, quand mon attention fut attirée par une photo punaisée au mur : c'était une jetée, long ouvrage horizontal entourée d'eau. Celle de Houet-Binoh, peut-être ? 
Au repas, j'en demandais un peu plus à ma tante. Elle resta évasive. - Quand même, lui dis-je, cette photo a été prise. Par qui ? Et pourquoi l'avoir plus ou moins cachée dans la remise ? -Tu m'embêtes, soupira ma tante, en se levant pour aller chercher le fromage. - C'est ... euh ? C'est lié à l'oncle ? 
Je savais que son mari était mort depuis une vingtaine d'années, avant ma naissance, donc. J'imaginais qu'ils avaient pu se rencontrer sur cette jetée, ou bien s'y donner des rendez-vous. A moins que l'oncle Henri ne se soit noyé à cet endroit et que Suzanne ait voulu conserver, mais sans l'avoir vraiment sous les yeux, ce souvenir du lieu.
-Tu me diras, un jour ?
Elle darda son oeil noir sur moi et marmonna : - Un jour, oui, peut-être.

Les années ont filé. Tante Suzanne est bien malade. Je reprends le chemin de sa maison depuis la gare. Et je pense. Je pense aux chiens qui sont morts tous les deux ... et à la photo de la jetée. Troublante photo.  Banale dans sa prise de vue mais plus complexe qu'il n'y paraissait quand on acceptait, comme moi, de s'y perdre. 
Je n'ai jamais su le fin mot de l'histoire : l'état de ma tante empira rapidement et elle mourut pendant son transfert à l'hôpital. Elle laissait deux enfants, dont un fit disparaître, comme je le constaterai plus tard, la fameuse photo de la jetée.

Gérard


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Jetée…phare …Bretagne !
Inévitablement
Tout me ramène à ma Bretagne de cœur que je chéris tant 
Née dans les verdoyantes montagnes du Jura
C’est au bord des côtes bretonnes
Que je me sens chez moi
Indéniablement
L’appel est fort
Impossible d’y résister
Les années passent
Et le lien est de plus en plus évident
Côtes d’Armor, mi amor…
Assurément !

Ziza


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Veillée bretonne


« Battue par les vents et les vagues l’approche du phare était effrayante »
Près de Raoulig, voilà ce que dirent les pêcheurs ce soir de novembre 1902, en la maison de Servan devant le feu où grillaient des châtaignes, femmes et enfants attendaient avec impatience le récit d’une nouvelle histoire. Silence. Les hommes se regardèrent, qui allait conter l’histoire du phare à Solveig ?
Lukaz soupira, remua les châtaignes, et commença à parler, les yeux perdus dans le crépitement des flammes.
« Les hommes embarquèrent sur plusieurs bateaux, pour l’entraide en cas de tempête. 
La mer n’annonçait rien de bon ce matin de mars, mais le village n’avait plus rien à manger, plus de farine pour le pain, plus de fourrage pour les deux vaches qui ne donnaient pratiquement pas de lait, l’hiver était long, la faim nous faisait mal.
Ciel bas, mer grise et tourmentée comme nos pensées. Inutile de gamberger, on avait besoin de toute notre tête pour remplir les filets de beaux maquereaux.
La journée se passa correctement, les poissons étaient là, les gars avaient du courage à la tâche. En fin d’après-midi, caisses remplies, les capitaines heureux décidèrent de rentrer, un grain arrivait. 
Le temps se gâta brusquement, les vents déchaînés gonflèrent des vagues énormes, qui éclataient dans un fracas assourdissant sur les bateaux, frêles esquifs dans ce déferlement. Nuages noirs, nuit, seuls nos cris d’effrois nous permettaient de nous situer, le capitaine ne parvenait plus à tenir le cap, l’embarcation fut entraînée vers les récifs, vers le phare à Solveig…
Solveig chante, Solveig joue de la flûte… ses mélodies tristes et mélancoliques enlèvent tout esprit combatif, nous le savions, nous redoutions de les entendre.
Un souffle plutôt qu’un chant tout d’abord, une plainte ensuite nous a enveloppés à travers le fracas de la tempête, petit à petit les hommes se sont allongés en se laissant brinquebaler sur le pont, la mélodie résonnait maintenant sur toutes les embarcations, les pêcheurs tombaient à la mer, se cognaient contre les parois, la mer soulevait les bateaux comme des fétus de paille, sur cette vision apocalyptique, un choc violent me fit tomber et je m’écroulai dans la cabine du capitaine.
A mon réveil ma brave femme me raconta qu’on nous avait retrouvés échoués dans les rochers  à marée basse, sur trente marins partis ce matin là seuls six en avaient réchappés. »

Un autre silence se fit, un silence de mémoire, un silence de respect, mais un silence réconfortant aussi d’être là, vivants, réunis pour cette veillée en la maison de Servan.
Patricia