Quand
j’atteins l’âge de douze ans, mon père devint subitement un
con. Avant c’était plutôt quelqu’un de bien, un père attentif
et aimant, un mari attentionné et fidèle, un employé consciencieux
et soigné. Mais le jour de mes douze ans, il devint tout à coup un
sombre con. Je ne sais comment cela au juste survint ni le pourquoi
du comment, mais tout ce qu’il disait désormais ne valait rien et
tout ce qu’il faisait était nid à déchet.
Mon père
devenu subitement un con, je résolus de ne plus lui parler. Dès
qu’il apparaissait, je tournai le visage de côté, sa vue même
m’était devenue abjecte. L’évitant ostensiblement, il ne
pouvait ainsi voir que mon côté droit. Cela sembla d’abord le
gêner, mais comme il était devenu con, il finit par s’y faire et
ne plus se poser de questions.
Le premier
problème survint lorsqu’à force de tourner la tête en sa
présence je finis par attraper un bon torticolis. Mon cou resta si
bloqué que finalement tout le monde autour de moi ne vit plus que
mon côté droit, dans une forme de solidarité traîtresse à
l’égard de mon père, ce con ! Je profitai alors de la
situation pour accumuler tous mes boutons d’acné sur mon côté
gauche, devenu presque invisible.
Mais les
professeurs de mon collège se plaignirent à mes parents qui
reçurent une lettre de l’établissement. Ils considéraient comme
une preuve d’insolence mon désir manifeste de ne pas suivre les
cours et d’observer plutôt systématiquement ma voisine de gauche.
Elle était jolie, c’est vrai, mais moi je préférais celle qui se
mettait toujours dans le fond. Malheureusement, mon cou bloqué, je
ne pouvais jamais la regarder.
Il fallut
trouver une solution. J’allai chez le kiné qui rééduqua mon cou.
Mais mon père étant resté con, je ne voulais toujours pas le voir
ni lui parler.
Je résolus
donc de baisser systématiquement le nez en sa présence. Mais
passant désormais mon temps à mes pieds contempler, je me prenais
sans cesse portes et murs dans la figure, ce qui n’est guère
plaisant.
Il fallut à
nouveau trouver une solution. Elle apparut alors lorsque mon père,
tout compte fait vexé par mon attitude, résolut désormais de lever
les yeux en l’air dès que j’apparaissais. C’est vous dire si
c’est un con !
Agnès Sarah
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Contrainte cachée : partager une émotion très personnelle
Nul besoin de voyager pour rencontrer deux mondes totalement opposés.
Cette expérience m’a bouleversé, aux portes de notre cité
Lorsque le père du pays prospère rencontre le père du pays en guerre.
Lorsque le père du pays prospère rencontre le père du pays en guerre.
Nul mot ne peut transcrire à quel point nous sommes identiques.
Lorsque tu t’es avancé pour une autre bouteille de lait.
La nuit étant longue, ton fils a commencé à pleurer.
Nul besoin pour toi de la demander, nos regards se sont croisés.
Cette misère tu étais loin de la porter, ta dignité m’a profondément transpercé.
Tes quelques mots me marqueront à jamais : « Nous avons quelques soucis à régler ».
Juan
Juan