samedi 1 juillet 2017

Cette année où mon père ne vit que mon côté droit…





Quand j’atteins l’âge de douze ans, mon père devint subitement un con. Avant c’était plutôt quelqu’un de bien, un père attentif et aimant, un mari attentionné et fidèle, un employé consciencieux et soigné. Mais le jour de mes douze ans, il devint tout à coup un sombre con. Je ne sais comment cela au juste survint ni le pourquoi du comment, mais tout ce qu’il disait désormais ne valait rien et tout ce qu’il faisait était nid à déchet.
Mon père devenu subitement un con, je résolus de ne plus lui parler. Dès qu’il apparaissait, je tournai le visage de côté, sa vue même m’était devenue abjecte. L’évitant ostensiblement, il ne pouvait ainsi voir que mon côté droit. Cela sembla d’abord le gêner, mais comme il était devenu con, il finit par s’y faire et ne plus se poser de questions.
Le premier problème survint lorsqu’à force de tourner la tête en sa présence je finis par attraper un bon torticolis. Mon cou resta si bloqué que finalement tout le monde autour de moi ne vit plus que mon côté droit, dans une forme de solidarité traîtresse à l’égard de mon père, ce con ! Je profitai alors de la situation pour accumuler tous mes boutons d’acné sur mon côté gauche, devenu presque invisible.
Mais les professeurs de mon collège se plaignirent à mes parents qui reçurent une lettre de l’établissement. Ils considéraient comme une preuve d’insolence mon désir manifeste de ne pas suivre les cours et d’observer plutôt systématiquement ma voisine de gauche. Elle était jolie, c’est vrai, mais moi je préférais celle qui se mettait toujours dans le fond. Malheureusement, mon cou bloqué, je ne pouvais jamais la regarder.
Il fallut trouver une solution. J’allai chez le kiné qui rééduqua mon cou. Mais mon père étant resté con, je ne voulais toujours pas le voir ni lui parler.
Je résolus donc de baisser systématiquement le nez en sa présence. Mais passant désormais mon temps à mes pieds contempler, je me prenais sans cesse portes et murs dans la figure, ce qui n’est guère plaisant.
Il fallut à nouveau trouver une solution. Elle apparut alors lorsque mon père, tout compte fait vexé par mon attitude, résolut désormais de lever les yeux en l’air dès que j’apparaissais. C’est vous dire si c’est un con !


Agnès Sarah

________________________________________________________________________

Contrainte cachée : partager une émotion très personnelle

Nul besoin de voyager pour rencontrer deux mondes totalement opposés.
Cette expérience m’a bouleversé, aux portes de notre cité
Lorsque le père du pays prospère rencontre le père du pays en guerre.
Nul mot ne peut transcrire à quel point nous sommes identiques.
Lorsque tu t’es avancé pour une autre bouteille de lait.
La nuit étant longue, ton fils a commencé à pleurer.
Nul besoin pour toi de la demander, nos regards se sont croisés.

Cette misère tu étais loin de la porter, ta dignité m’a profondément transpercé.
Tes quelques mots me marqueront à jamais : « Nous avons quelques soucis à régler ».

Juan