Elle ne nous l’avait pas dit, Cécilia, que cette région d’Auvergne que nous traversions en car, elle la connaissait très bien. Nous étions quinze dans le car, riant, chantant, tout à le joie de ces premiers congés payés. 1936 était vraiment notre année. Nous avions laissé à Aubervilliers ou Levallois nos soucis habituels. Les paysages se succédaient, somptueux, pour de pauvres citadins comme nous. A un moment, Raoul a fait arrêter le car pour nous prendre en photo, un par un. Des souvenirs ! Cécilia portait une sorte de sombrero bien qu’elle ait des parents espagnols et non mexicains. On est remonté dans le car, André, Paul, Raoul…et tous les autres et Cécilia. Et moi qui essayais en vain de changer de place pour me rapprocher d’elle. Quand nous sommes passés en bas de ce piton rocheux, surmonté d’un village fortifié, j’ai vu Cécilia tressaillir puis se cacher les yeux. Quand elle a retiré ses mains, des larmes coulaient encore.
Qu’avait-elle connu dans ce village, qu’avait-elle vécu ? Je ne le saurai sans doute jamais.
Gérard
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1954. Je suis cette femme au chapeau mexicain qui pose adossée à la rambarde
du belvédère. Dans la brume, on y devine une petite bourgade dans le fond. C’était
une courte halte avant d’aller gravir cette jolie montagne surmontée d’un
vestige médiéval.
Non, je n’étais pas au Mexique en
voyage de noces mais en Auvergne avec tous les jeunes de mon village que le
curé de la paroisse emmenait chaque année en voyage à la découverte d’une
région française. Cet été-là, c’était l’Auvergne qui avait été choisie par le curé.
Nous partions un mois entier, à
parcourir une région de village en village avec notre vieux bus qui avait dû
faire plusieurs fois le tour de la France avec le curé au volant !
Ces périples régionaux et
estivaux ont marqué des générations entières de mon village natal. Il faut dire
que l’on appartient à une époque où les familles qui partaient en vacances
étaient rares ! Seuls quelques bourgeois de la bourgade avoisinante
avaient la chance de quitter la verte campagne du Jura. Nous autres, petits
paysans, n’avions guère d’autres loisirs en été que le ramassage des foins sous
un soleil de plomb ! Ce furent mes seules vacances jusqu’à mon mariage.
Cette année-là en Auvergne, j’ai
rencontré l’homme qui allait devenir mon mari quelques mois plus tard. Nous
étions logés chez les paroissiens des villages qui nous offraient le gîte et le
couvert une nuit ou deux. C’est dans une maison qui nous a accueillis que
vivait Henri.
Sur la photo prise au belvédère,
on y devine le village d’Henri. J’étais loin de me douter au moment de la pose, que ma vie allait basculer quelques heures plus tard en croisant le regard de cet auvergnat…
Ziza
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Par ce matin de juillet, un car de la guardia civile s'arrêta devant la porte de mes parents. Aussitôt, la place du village s'éveilla d'une folle agitation. Le poissonnier habituellement concentré à faire oublier l’odeur de son poisson éventé, en oublia même les touristes perdus dans ses filets. Ceux-ci s'échappèrent aussitôt tels des brochets effarouchés. Même le coiffeur occupé à dissimuler le sommet abandonné de notre cher député, lâcha ses ciseaux en s’exclamant : "Par les frisettes de ma chère tante Félicité !"
La porte de la camionnette s'ouvrit, un garde bedonnant en descendit d'un pas mal habille. À le regarder, on ne pouvait se douter que son service venait de commencer et qu’une bouteille d’un alcool saisit la veille, l’aidait à affronter la pesante chaleur. Notre fier représentant de la loi, s’efforçant d’être à la hauteur de son rôle, s’avança d’un pas de cabot vers notre maison. Ma mère ouvrit un volet, elle avait compris ce qui allait se passer. Mon frère Jusépé rêveur invétéré, porté par les idées de l’international était partie il y a un an faire la guerre en Europe. Rongé par le chagrin et l’attente de ses nouvelles, l’échoppe de mes parents tenait volet fermé. Depuis, les dernières nouvelles du front étaient absolument abominables. Nous nous attendions au pire, jusqu’au moment où le vieux garde annonça les bras levés vers le ciel : « Mme Ricardo, je viens vous annoncer le mariage de votre fils en Espagne ! »
Juan
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Vingt ans. Elle avait vingt ans, un large sourire ravageur et un grand chapeau qui rappelait ses origines : Maria venait du pays du soleil, des pyramides mayas et des plages de sable fin.
Nous nous étions rencontrés il y a un an très exactement, sur la muraille de la citadelle de Passen-Hoffen, où mon régiment avait été envoyé en mission.
Son grand chapeau et sa longue jupe noire volant au vent détonnaient dans ce paysage bavarois. L’image de cette beauté surplombant la vallée de mon enfance m’avait saisi. Son père, diplomate, était en voyages d’affaires, sa famille l’avait accompagné. Et moi, il suffit de quelques mots prononcés en allemand de sa voix d’hirondelle aux « r » chantants pour tomber amoureux.
Ce furent alors les trois jours les plus heureux de ma vie. Il lui fallait échapper à la vigilance de son père et moi à celle de mon général, et la nuit, tous deux délivrés de nos autorités hiérarchiques, nous courions dans les rue tels des gamins et nous embrassions langoureusement sous les porches comme les stars du grand écran.
Mais ce bonheur fut de courte durée. La mission de son père à Passen-Hoffen s’acheva et il fallut se dire adieu. Mon hirondelle retournerait à ses pyramides et moi à mes entraînements.
Mais c’était sans compter sur la fougue et la témérité de la belle. Le dernier soir, elle me glissa solennellement une lettre dans la main avant de s’enfuir. J’ouvris, elle mettait résolument mon amour à l’épreuve : « Si vous m’aimez, retrouvez-moi ici même sur cette citadelle qui vit naître notre amour, dans un an, jour pour jour, heure pour heure. Alors, si vous avez dit vrai, vous vous agenouillerez et me passerez la bague au doigt, pour ne plus jamais nous quitter. » Je restai coi, comme pétrifié, ne sachant si je devais pleurer son départ ou craindre la fougue d’une jeunesse pleine d’élans innocents mais excessifs. Qu’en serait-il dans un an ? Peut-être m’aurait-elle déjà oublié en réalité ? Ou moi sans doute ? Certes elle était belle avec son charmant petit corsage blanc qui lui cintrait merveilleusement le buste et la poitrine, ses lèvres douces et sa main délicate et tendre, mais de là à m’emprisonner pour la vie !
Pourtant un an plus tard, jour pour jour et presque heure pour heure, j’étais dans le bus, le cœur battant, qui me menait à Passen-Hoffen. Je riais de ma propre bêtise, lorsque je crus apercevoir, de la fenêtre de l’autocar, niché sur la muraille, un grand chapeau rond aux allures d’El dorado.
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Les ruines d'un château se situaient sur une hauteur
C'était une sorte de montagne aux parois abruptes inspirant la peur.
Dans le lointain, un car de touristes progressait en roulant lentement
Le ruban asphalté se développait selon un tracé sinueux à ce moment.
Le véhicule maintenait un rythme régulier et quelque peu cahotant.
Mais à aucun moment son moteur fatigué ne donna de signe de faiblesse.
Un bruit continu se faisait entendre lors de sa montée en roulant.
Quant à moi, je me trouvais déjà sous les murs
Tout à coup, l'image d'une femme vêtue d'une robe apparut dans le lointain.
Je la fixais intensément , fixant mon attention sur ses yeux d'un bleu pur.
Un grand chapeau lui couvrait la tête, elle ne prononça aucune parole, pas un mot.
Et j'étais devant elle, la voyant se préparer à faire le grand saut ;
Je voulus l'empêcher de sauter dans le vide sans fin qui s'étendait là devant nous,
C'est à ce moment que j'ai ouvert les yeux me demandant si je n'étais pas fou.
Quelle apparition avais-je entrevue dans cette sorte de cauchemar.
Il me fallait me lever, car si je restais dans cet état , alors ce serait le cafard.
Je me suis rappelé plus tard de trois images anodines
Elles m'avaient pourtant marqué , je ne sais pourquoi, elles me rappelaient quelque chose ;
Allons, il me fallait éloigner ma pensée de tout cela pour ne pas dépasser la ligne.
Gérard