dimanche 16 juillet 2017

Rencontre avec un autre monde ...



J’étais vraiment fatiguée. Un an que je n’avais pas pris de vacances, et j’en avais bien besoin. En un an, tout avait basculé dans ma vie : rupture sentimentale, remise en question professionnelle, deuil parental. J’arrivais à un moment dans ma vie où j’avais l’impression d’avoir toujours fait fausse route, où je ne savais plus rien, où tout semblait à balayer et à reconstruire. Besoin de repos, d’introspection, de revenir à moi-même. Besoin de solitude pour faire le point.
            Je trouvai à louer sur airbnb une charmante maisonnette en bois au milieu de la forêt. Trois semaines de tête-à-tête avec moi-même, ne pouvant être dérangée dans ce duo solitaire que par le chant des oiseaux et le brame des cerfs, c’était ce qu’il me fallait. Juste quelques livres dans ma valise, de quoi écrire, et de bonnes chaussures pour marcher et explorer mon intérieur au fond des bois.
            Je passai ainsi les trois premières journées à marcher sur les sentiers désertés avant de m’octroyer de longues nuits ressourçantes. Il me semblait quelquefois reconnaître dans le souffle du vent des chants humains, comme des mélodies venues d’un autre monde qui m’appelaient et me berçaient.
            Le quatrième jour je m’écartai du sentier habituel et plongeai plus profondément dans la forêt. Je marchai assez longuement, et bien que je n’ai jamais eu grand sens de l’orientation, je gardai une curieuse foi en ma capacité le moment venu à retrouver mon chemin. Au bout de sans doute plusieurs heures de marche, j’arrivai à une clairière, délicatement bercée par le son d’un ruisseau. Une étrange lumière étincelante semblait s’en dégager. J’aperçus alors, comble de stupéfaction, une sublime licorne au pelage blanc, arborant fièrement une majestueuse et longue corne sur son front altier. Un halo aux couleurs de l’arc-en-ciel l’enveloppait.
            Je crus rêver. Je me frottai les yeux, peut-être était-ce une illusion d’optique, mais il n’y avait plus à douter, ce n’était pas un cheval sauvage, c’était une somptueuse, infiniment délicate licorne, magique créature toute droit d’un conte de fées pour enfants.
            Elle tourna son regard vers moi et m’observa, ne paraissant ni étonnée ni perturbée le moins du monde par ma présence. Puis elle s’enfonça lentement au milieu des fourrés. L’idée me traversa qu’elle m’invitait à la suivre. Je m’engageai donc dans ses pas. Et en effet, elle se retourna, comme pour vérifier que je la suivais bien. Sur la terre encore humide de longs filaments argentés se remémoraient le passage de la licorne.
            La belle créature m’emmena ainsi jusqu’à un lac dont je n’avais vu la trace sur aucune carte. Arrivée à destination, elle se retourna une dernière fois vers moi, me contemplant de ses yeux profonds et sages, et s’engagea dans le lac, aussi mystérieusement qu’elle était apparue.
Je n’y comprenais rien.
Je quittai mes vêtements un à un, et les abandonnant sur la berge je plongeai à mon tour, entièrement nue dans la vaste étendue aquatique. Je plongeai et nageai sous l’eau, ouvrant les yeux à la recherche de la licorne disparue. Qu’était-elle devenue ? Mais elle demeurait invisible. Je la cherchai encore un long moment, avec l’espoir et la patience d’un archéologue à la recherche de trésors enfouis. Mais alors que j’allais finalement m’avouer vaincue, je vis une femme sortir de l’eau, une somptueuse chevelure dorée tombant jusqu’à son bassin, arborant une longue robe d’une blancheur éclatante dans laquelle se mirait l’astre de nuit. « Bienvenue à toi chère sœur. Te voici enfin de retour à la maison. Cela fait longtemps que nous t’attendons, à Avalon. »
J’eus alors l’impression de revenir à une réalité bien connue mais oubliée après un très long sommeil. Émergeant d’un lointain souvenir sans âge, je reconnus la Dame du Lac.

Agnès Sarah


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En me promenant, d'accord ce n'est pas très original, mais ce furent les circonstances qui en décidèrent ainsi, je l'ai rencontré comme ça, par hasard, au détour d'une rue donnant sur un canal. Il était assis, un peu éloigné du bord de l'eau , il ne prononçait pas une seule parole et ne bougeait pas non plus un seul masque de son visage, formant un tout immobile ; je me contentais de l'observer de loin . Je suis allé m'asseoir moi aussi en m'efforçant de pas perdre le contact avec lui. J'aurais pu tenter de comprendre les choses , que pensait-il, qu'écoutait – il quelle voix lui parlant à lui était au-delà de nous , au-delà de tout, dans une totale incapacité à communiquer quoi que ce soit à qui que ce fut . Son autisme avait quelque chose d'impossible à évaluer. Je pense qu'il aurait pu rester ainsi pendant des heures sans qu'il ne se passe rien. Qu'avait-il trouvé ou compris , quel malheur l'avait frappé , car il n'était pas heureux, cela se voyait. Son regard semblait éteint alors qu'il observait un point imaginaire situé à l'horizon. C'est alors que je me suis levé, de toute façon, qu'aurais-je pu lui dire. Quant à lui, il est resté alors que je m'éloignais sans me retourner. Notre seul point commun , en cet instant, c'était d'être tous les deux. Les eaux du canal continuaient leur chemin en clapotant.

Gérard

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Sainte-Anne en ce 1er novembre 2018 : des bourrasques de pluies et de feuilles arrachées à la boue du parc s'engouffraient par le portail de l'hôpital. 
Pas une âme censée pour résister à cette violence! Presque : un petit homme trapu, presque jovial, venait de redessiner des rectangles en échelle que la bourrasque précédente venait d'effacer. Une, deux, trois ...
"Ici la porte du paradis. Ici j'évite l'enfer!" disait-il aux éléments qui couvraient sa parole.
Sautillant d'une case à l'autre, le petit bonhomme exultait de pouvoir braver un tel temps. A chaque fois que le vent effaçait sa marelle, la joie qu'il éprouvait à la redessiner s'en trouva décuplée.
La pluie, le vent et ses hurlements n'étaient qu'un compère de jeu ... Et le jeu était d'autant plus jubilatoire qu'il fallait recommencer!
Il faisait froid en ce début novembre! L'épuisement fit place à l'allégresse, la crispation au sourire ...
Deux ombres parurent soudain, comme inquiètes et inquiétantes!
"Enfin, le voilà!" dit l'une des ombres, il joue encore à la marelle mais il est transis de froid.
Les deux ombres s’emparèrent chacune d'un bras et le soulevèrent comme pour lui épargner de traîner dans la boue. "Rentrons vite!". Le petit bonhomme agité s'écriait : "Encore une fois, encore une fois! Laissez-moi encore essayer! Je n'ai pas réussi à franchir les portes du paradis!".

Ahmed